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jeudi 3 juin 2021

LA VIE CONJUGUE MAL  (18)

De tous les repères spatio-temporels issus de l'observation de la "mécanique céleste", appelons-la comme ça, celui des jours de la semaine est particulièrement absurde. Le jour de 24 heures, ça se comprend, c'est le temps que met notre chic planète pour faire un tour sur elle-même. L'année de 365 jours 1/4 aussi, puisque c'est la durée nécessaire pour qu'elle se paie un tour de manège autour de l'astre solaire, mais pour les autres subdivisions du temps, qu'est-ce qui les justifie ? Les mois, on peut comprendre. Quatre mois suffiraient, un par saison, mais après tout pourquoi pas douze, qui peut le plus peut le moins, admettons. Reste les semaines, une subdivision essentielle de la vie humaine. C'est là que je perds le fil. Rien ne justifie de réunir sept jours en une entité baptisée "semaine". Ça n'a pas de sens, sauf à rejoindre le camp des créationnistes qui disent que Dieu a créé le monde en six jours et s'est reposé le septième. Tout ça sous le soleil et ses planètes, d'où le jour de la Lune, celui de Mars, celui de Mercure, etc. C'est une construction sans fondement, un abus de pouvoir religieux. Si on va par là, alors je milite pour un jour dédié à Diogène, un à Dali, un à Michelangelo, un pour Van Gogh, un pour Gershwin, un pour Lou Reed, un pour Beckett. Oui c'est absurde, c'est à l'image du Réel.

vendredi 30 avril 2021

LA VIE CONJUGUE MAL  (17)

La vie est un don du ciel disent les croyants. Pour les non-croyants ou les croyants en "quelque chose de plus grand" elle est l'enfant de la nature, de l'univers, du cosmos, etc. on pourrait faire un inventaire à la Prévert. Mais là n'est pas la question. La question est : À qui s'adresser pour une réclamation ? Où se trouve le bureau du SAD (Service Après Don) ? Si un bénéficiaire, récipiendaire, usufruitier n'est pas satisfait de cet état de "vie", qui va le lui reprendre ? Sûrement pas "Dieu", c'est un pur esprit. La nature et l'univers sûrement pas non plus, ils sont au cœur d'un jeu d'équilibriste et ne s'occupent pas des cas comme ça. Restent les humains. Il faut s'adresser à la bonne personne, militante convertie, ayant du temps et de l'énergie à consacrer à son prochain. Un rêve, à oublier. En réalité, les seuls à être légitimes sont les parents, grands-parents, aïeux. Mais très rares sont ceux qui accèdent à une telle demande. Cette pensée les révulse, ils disent qu'une telle idée n'a aucun sens, que c'est leur faire offense, que ce qui a été donné ne peut pas être repris. Je comprends leurs états d'âme, c'est difficile. Alors que faire de ce cadeau hors d'état hors d'usage qui se tortille comme un ver de terre sur un paillasson ? Le foutr' perdre, comme le faisait ma grand-mère avec les déchets alimentaires ? Ou bien écouter What a wonderful world à l'envers pour y puiser un regain de Lust for life comme on l'a fait en son temps avec Tomorrow never knows ? C'est un peu tiré par l'écheveau, mais pourquoi pas et c'est yeah?

mardi 22 septembre 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (16)

Les rayonnages, qu'on appelle à tort "rangements", recèlent souvent beaucoup de bazar. Pour bien faire, il faut y mettre le nez régulièrement et procéder comme dans une fouille archéologique, par couches successives. En surface, des magazines rock, des BD, des pages volantes. Parmi celles-ci, quelques feuilles A4 de toutes les couleurs... je lis : Nouvelles du matin, nouvelles du soir, espoir, chagrin, etc. Bribes de chansons, points de suspension... La vieillesse, un lent amoindrissement des sens, dans tous les sens... Qui a pondu une connerie pareille ? Si vieillir se résumait à se ratatiner dans une atmosphère d’angélus de Millet, ça se saurait. Encore un doux rêveur qui s'est laissé aller, et dont la plume sphincter a souillé le drap de la littérature... « un lent amoindrissement des sens », tu parles d'un morceau choisi, mais par qui ? Peut-être par  Ma Teigne ou Le Béotien... de la poésie du prose, à lire en braille avec des gants de boxe. Direction recyclage carton papier. J'la froisse, j'la tasse, j'l'emboule et dans ma main je vois un nom... Jean Rumin. Défroissage. "Petite histoire de Jean Rumin". Je connais le type qui a écrit ça. C'est le même qui parlait du dédoublement de la personne alitée. C'est moi. Putain de pétard de Pétain, il fait pas bon être soi, surtout quand on ne fait qu'un avec lui.

jeudi 13 août 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (15)

Mes che*r(e)s ami(e)s, j'espère que vous allez bien, très bien, mieux que pas mal, (même) pas mal, moyen bien, moyen correct, en tout cas pas en dessous de médiocre. Tout va-t-il continuer à aller errer mais diablement de travers all over the world ? Est-ce qu'on pourrait please jeûner en paix comme chantait Stephan Eicher ? Les nouvelles vont-elles un jour justifier pleinement leur nom et être enfin annonciatrices de quelque chose de nouveau, d'inédit qui va dans le bon sens, d'une bonne surprise ? God only knows, mais ce Mr God (souvent représenté avec une barbe, d'où la mode actuelle ?) n'est pas fiable. Certains le croient sur parole sans l'avoir jamais ni vu, ni entendu, d'autres le prennent pour un bonimenteur, vendeur d'opium du peuple, d'autres disent que c'est une attraction (non terrestre) de fête foraine, un fantasme d'enfant naïf devenu grand benêt. Dans l'attente de trouver le fin mot de l'histoire, il faut se contenter des petits plaisirs que la vie nous réserve. Hier un joli beau ciel, aujourd'hui un beau logiciel, demain une autre combinaison des mêmes lettres dans un autre sens ?

*mettre un accent entre parenthèses, bien posé sur la tête de sa voyelle, voilà une chose qu'un clavier ne sait pas faire, mais la main oui. cf. Comme le fleuve a (à) la mer

vendredi 29 mai 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (14)

Tout est superflu, le vide aurait suffi.
L'Emil a tapé dans le mille. Comment peut-on dire la condition humaine en peu de mots mieux qu'avec ces sept-là, cette virgule et ce point final. Pas sûr d'ailleurs que la virgule soit de Cioran, c'était plutôt un point. Mais elle est venue toute seule, alors je l'ai laissée. À présent, plus j'y pense, et c'est de plus en plus fréquent, et plus j'ai envie de remplacer le mot "vide" par le mot "néant".
Le vide me laisse insatisfait. Malgré les apparences, c'est un aspect du réel, caractérisé par l'absence de tout objet, de tout sujet, matière, etc. mais il suppose (impose) un état. Seulement ça, il est vrai, mais tout de même, ce n'est pas rien. Tandis que le néant... le nommer n'a pas de sens, lui adjoindre une représentation n'a pas lieu d'être. Dire le néant est l'abolir, lui manquer de respect. Il faut se contenter d'y penser, d'en amorcer le concept timidement, sans affect, et surtout veiller à ce que ce petit champ électrique ne quitte pas le cortex, qu'il ne se manifeste d'aucune manière, ni par la parole, ni par l'écriture ou toute autre forme d'expression connue à ce jour. C'est dire combien je contreviens aux principes que je viens d'énoncer, à quel point je transgresse les règles que j'ai pris soin d'établir. Voilà, j'en ai fini. Revenons à Cioran.
Tout est superflu. Le       aurait suffi.

vendredi 15 mai 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (13)

Les animaux sensibles, dont l'homme est la forme la plus complexe, excrètent le virus de la peur, c'est un mécanisme inné et naturel, indispensable à la survie de l'espèce. Ainsi résonnaient les sirènes de la communauté scientifique, jusqu'à ce qu'en 1979, un jeune casque bleu de la FINUL observe un gypaète d'une espèce endémique d’Éthiopie. Cet autodidacte féru de sciences et de natures mortes note que le bel oiseau sécrète une substance gélatineuse qui se solidifie en une excroissance au niveau des cervicales, une deuxième tête rudimentaire et orientée dans l'autre sens. Cette effigie de pâle occurrence, cette vigie qui regarde derrière, fait office de radar quand le gypaète se repose. Elle n'est opérationnelle que pendant la nuit et ne réagit qu'à l'émission de lumière ou de chaleur. Le moindre lux la fait tressaillir, un signal égaré du règne animal la tétanise. Elle exècre la différenciation entre les atomes du vivant et le halo des morts, elle jouit des ténèbres infinies. L'effet induit du rôle de gardien de nuit de cette tête de mort est que le gypaète glabre ne connait pas la peur. Il est le seul animal sensible connu à ce jour à être doté de ce pouvoir. Ce que je révèle ici n'est pas un secret absolu puisqu'il est partagé par trois personnes : S.Hexters, l'homme qui l'a découvert, E.Bellotto, le secrétaire qui a traduit son manuscrit de l'espéranto et votre serviteur, qui par excès de sympathie pour les secrétaires italiens, a recueilli ses confidences que personne n'a jamais pensé à susciter. Vous êtes le(s) quatrième(s)...

lundi 30 mars 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (12)

Dans un vieil article, le 12 novembre 2012, je vous entretenais d'une de mes nombreuses lubies temporelles, le Dad Double Day. Par là, je désignais le jour de votre vie où votre père atteint le double de votre âge. Quelle importance, et quel intérêt ? Aucune, aucun. Mais c'est précisément le fait que ce calcul soit à la fois inutile et désuet, en plus de faire perdre un temps qu'on dit précieux, qui me le rend attachant. J'ai donc gardé le souvenir ému de ce matin ensoleillé du mardi 7 juin 1988 où je quittai le quartier des Olympiades pour la rue Pierre Rigaud à Ivry, empli d'une sensation inédite, celle de renaître. Plus tard, je me posai la question du GDD, le Grandad Double Day, que je touchai le 9 janvier 2014, mais sans émotion particulière. J'étais allé trop loin dans mon délire. Cette nuit, lundi 30 mars 2020 à 2h00, je reviens à la raison en jouissant du HSD de mon fils, le Half Son Day. Le jour où mon fils a la moitié de mon âge. En menant à bien ce calcul, je réussis un pari insensé, celui de me glisser dans sa peau, à son insu, car il ignore tout de cette arithmétique de débile mental. Je suis d'autant plus heureux que j'ai affiné mon calcul à l'heure près, chose que je n'avais pas faite en juin 1988, car la maladie en était encore au stade embryonnaire. Faudrait que je me soigne, mais la volonté n'est pas au rendez-vous, je lui ai posé trop de lapins.

mardi 10 mars 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (11)

Mars, le mois de la guerre, un des pires de l'année avec novembre, le mois des morts. C'est pas bien grave diront les optimistes, ça ne dure que 30 jours, 31 au plus. Oui, mais ça revient comme le balancier du métronome, avec une précision d'horlogerie cosmique, sans espoir de variation. Pour se remonter le moral, on pourrait espérer que la terre soit plate et ronde comme le croient les platistes, et qu'elle a été créée par un collectionneur de disques. Ce serait une lueur d'espoir à l'horizon. Ou alors, si les créationnistes ont raison et que tout a été créé par Dieu il y a 4000 ans, on attendrait le retour de Noah (Noé) dans son grand bateau pour qu'il sauve le genre humain du naufrage comme il l'a fait avec les animaux. À moins que depuis le temps, ce bon vieux Noah ait fini par casser sa pipe sans laisser d'héritier mâle. Car pour driver un bâtiment pareil, il faut de la force physique et pas qu'un peu. Une capitaine de vaisseau du beau sexe serait vite dépassée par l'ampleur du défi technique. Tout ça n'est pas réjouissant en ces temps de pandémie. J'ai envie de positiver et de creuser l'hypothèse que je soulevais à l'instant : si le Créateur était un fondu de ronds en vinyle noir avec un trou au milieu ? Et s'il était fan des Fab Four ? S'il acceptait de faire une partie de TPB* with his little droopy dog ? It will be paradise !

* Trivial Pursuit Beatles

dimanche 9 février 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (9)

vendredi 7 février 2020

LA VIE CONJUGUE MAL  (10)

Alors je vais tout vous expliquer, mon commandant. Madame Lecat a eu un moment d'égarement. Je lui avais pourtant parlé d'une façon douce et attentionnée, car je sais le choc qu'a été pour elle le vol de ses bijoux, mais elle a perdu son self control. Sans attendre la fin de ma question, qui n'était pas longue, elle s'est mise à vociférer, affirmant qu'avec ma politesse de vieux garçon et mes tics de gratte-papier de l'administration Balladur, je ne risquais pas de compatir à son infortune, encore moins de tout mettre en œuvre pour la réparer. Elle a laissé entendre - heureusement sans témoin - que je mettais sa parole en doute et que ma conviction profonde était qu'elle avait sans doute imprudemment rangé la clé dans le tiroir devant un domestique de l'ordinaire, un livreur mal intentionné, ou devant un valet militant de l'anti-bourgeoisie. Évidemment, ce n'est pas l'envie de la démentir qui me manquait, mais j'ai contenu mon indignation, vous me connaissez, et j'ai laissé passer l'orage sans dire un mot. Bien que le salon de Madame Lecat soit vaste comme le Quai des Orfèvres, je ne savais plus ou me mettre, ni comment masquer ma qualité d'enquêteur et faire apparaître celle d'homme du monde, que je n'ai pas encore acquise, mais que je peux feindre. Je vous demande de bien vouloir examiner favorablement ma demande de mutation dans un autre service, mon commandant. Merci.

dimanche 17 mars 2019

LA VUE CONJUGUE MAL  (8)

Apprendre une nouvelle dans une voiture est l'un des "plaisirs minuscules" d'un livre de Philippe Delerm. « Tout à coup, le paysage est découpé, arrêté sur image. Ça se passe en une fraction de seconde. On sait que la photo est prise. Cette côte à trois voies bien anonyme et grise qui remonte vers la vallée de la Seine... » STOP ! L'hypothèse qu'une route puisse monter vers une vallée, a fortiori celle de la Seine, jette le trouble dans la zone de ma cervelle dédiée à la vision panoramique et stéréoscopique. Bien sûr, la face cartésienne de mon cortex me confirme qu'il existe bien des vallées hautes, que c'est ainsi que l'on désigne les premières dizaines de kilomètres des rivières qui naissent en altitude. Des routes peuvent y mener et elles montent, sans l'ombre d'un doute. OK, mais tout ça reste une vue de l'esprit car dans le mien, le mot vallée est synonyme de point bas, de lieu ample et gravitaire. Au dessus de mon poste de travail est accroché un tableau de mon père qui représente un torrent dans un paysage de montagne. Cela m'a pris des années pour le découvrir, pierre après pierre, pour l'admirer, versant noir après cime blanche, pour l'aimer en pleine lumière. Et si aujourd'hui il est un de mes préférés, c'est certainement parce que cette vue d'une vallée haute reste un mystère à mes yeux.

vendredi 15 février 2019

LA VIE CONJUGUE MAL (7)

Avec le temps, le visage de mon père s'est fané doucement, il s'est lentement flétri (tout le contraire de Dorian Gray), jusqu'à son dernier jour, sa dernière nuit. C'était le 9ème jour du 10ème mois, celui de la naissance de John Lennon. Depuis, son talent de peintre a éclaté au grand jour, le talent de mon père, pas celui de John Lennon. Pas tout de suite, cela a mis des mois, des années, mais alors qu'un certain jour son fan-club était encore sous le charme, le lendemain il était sous le choc. Un choc violent, imprévisible. Que s'était-il passé ? Une prise d'inconscience. Que restait-il ? Une coquille d’œuf brisée. Le fan-club dont je parle se réduisait à une seule personne, moi. Ma mère n'avait pas survécu longtemps et l'état de santé de mon frère avait commencé de se dégrader. Personne ne put à ce moment-là sonder l'opinion de cet échantillon, ça n'aurait eu aucun sens. Rien n'a jamais été porté à la connaissance d'aucun public, ni grand, ni réduit, ni le public invisible, celui qui fuit l'imagerie de masse et pour qui l'opinion du plus grand nombre est un miroir déformant, grossissant, de la fatuité de l'humanité. Quant à l'admiration du plus grand nombre pour John Lennon, son indifférence, ou son hostilité, elle ne dénature rien, c'est une fenêtre ouverte sur le port de Hamburg ou le fleuve Mersey, across the universe.

dimanche 20 janvier 2019

LA VIE CONJUGUE MAL  (6)

Je n'ai eu que deux oncles. Le premier était le frère aîné de mon père. Il est mort deux fois. Une première fois dans sa chair, très jeune, avant ma naissance je crois, je n'en suis même pas sûr. Mort aussi dans ma conscience, puisque personne ne m'a parlé de lui, ou si peu. Je n'ai de lui que quelques photos des années 30 et 40 et un tableau qu'il a peint. Le deuxième était le frère cadet de ma mère. Je me souviens de sa présence, du son de sa voix quand il était de bonne humeur, de son humour, de son côté fine gueule, de ses petits coups de gueule, de son emploi du temps chargé, de la marque de ses cigarettes et de ses voitures. Je me rappelle son goût pour les livres, les jeux de cartes, voire les cartes routières. Je sais aussi qu'il faisait partie de la classe qui n'avait pas été appelée sous les drapeaux mais que par la suite, il avait assuré ses tours de garde, dans un autre domaine. Je me suis parfois étonné de son détachement pour les choses de la musique, classique, jazz, chanson française, sans parler des yéyés ou de la variété, et de son retour à la nature et à la montagne quand il arrêta de travailler. Je me souviens de sa date de naissance et de la salle d'attente de la rue du capitaine Faure. Excepté leur prénom, mon père et lui n'avaient presque rien en commun. De leur vivant. À présent c'est différent.

dimanche 13 mai 2018

LA VIE CONJUGUE MAL (5)

Dans la constellation des chromosomes humains, j'ai vite été attiré par les plus brillants. La raison pure voulut que j'assumasse en priorité l'héritage de mes ascendants, dont les caractères dits masculins, car malgré mon penchant précoce pour un Mick Jagger lip- putassier ou un David Bowie diaphane, je voulais garder une apparence sociale neutre. Je laissai donc passer toutes les occasions de me surprendre moi-même, n'osant pas me mouiller, nager à contre-courant du mainstream bourgeois, conformiste, timoré de cette époque faux-cul pompidol-giscardiaque. De la place, il y en avait, mais je n'ai rien tenté. Dommage, car des lustres après, à l'âge où la raison se fait bouffer le foie par un cœur en rupture d'esclavage, tel un Prométhée de carnaval de province, je fis le constat douloureux du vide qui se creuse brutalement, de l'absurde qui triomphe. Je n'ai eu que ce que je méritais, la rançon de la peur et de l'immobilisme. Les brins dorés de l'ADN paternel et grand-paternel étaient si fins que le tamis grossier de mon œil de mouche ne les avait ni vus passer, ni retenus. Restaient la plume rapace de Samuel Beckett, l'onde vibratoire de Martin L.King, la parole cristalline de René Daumal. Et soudain l'autre jour, c'est le cœur brisé de ma mère qui a scandé quatre vers inédits de MÉMORABLES* dans ma poitrine.

mercredi 11 avril 2018

LA VIE CONJUGUE MAL (4)

Putain de douleur ancestrale qui, se voyant partiellement démasquée dans sa caverne cérébrale (de Cerbère?) - en réalité ma propriété, qu'elle squatte éhontément depuis des décennies -, bat en retraite et occupe le reste du terrain, du thorax jusqu'au bout des doigts de pieds. Intrusions et exactions en tout genre. Si un jour j'arrive à la coincer, ça va faire mal. À elle. D'un autre côté, comment faire mal à une douleur? Que déteste-t-elle par dessus tout ? Ça dépend des douleurs me direz-vous. C'est vrai que depuis le temps, je la connais bien. J'ai appris à mes dépens à la connaître de mieux en mieux. Ou de pire en moins pire. D'une simple plainte en rase campagne, suivie d'un avis de recherche et d'un portrait robot, les mailles du filet se sont resserrées autour d'elle. Si elle était enfin forcée, qu'elle se rende ou que je la capture, comment la mettre hors d'état de nuire, comment la dynamiter dans son coin de cave sans causer de dommages à la maison ? Lui faire subir une douleur dix fois, vingt fois plus violente qu'elle ? Rien n'est moins sûr. Face au renard dans le poulailler, je devrai marcher sur des œufs. Quant à savoir si le meilleur moyen de liquider une vieille souffrance est de lui plonger la tête dans un chaudron de volupté, ou de lui faire respirer le vent frais de la liberté, tout ça demande réflexion. Rien n'est à écarter.

samedi 24 février 2018

LA VIE CONJUGUE MAL (3)

Cher M.Donnot,
Si j'ai pu retrouver, depuis toutes ces années, la sensation si douce de l'absence de tremblement intérieur et même parfois le parfum de l'espoir, c'est à vous que je le dois. Je ne sais pas si le serment d'Hippocrate interdit au médecin de se pencher sur sa propre souffrance pour se consacrer exclusivement à celle de ses patients, mais c'est ce que j'ai ressenti à votre contact. À votre rituelle et joviale question « Comment va l'homme? », lancée au moment où je prenais place en face de vous, j'ai souvent eu envie de répondre « Et vous? ». Si je ne l'ai pas fait, c'est par respect et aussi pour conserver cette distance nécessaire, indispensable. J'ai appris à vous dire « Merci beaucoup », sur le pas de la porte, au moment de vous quitter, mais aujourd'hui je veux vous dire autre chose, en évitant toute emphase ou grandiloquence, que nous fuyions comme la peste, car nous nous attachions à cultiver la pleine confiance. Si le repos auquel vous goûtez à présent est comparable au centième, au millième du soulagement que vous avez procuré à chacun de vos patients, alors la douleur que je ressens en vous écrivant cette lettre en sera un peu amoindrie. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. J'espère que ce message posthume vous parviendra, une fois n'est pas coutume, par une voie immatérielle.
C.Parisse

lundi 15 janvier 2018

LA VIE CONJUGUE MAL (2)

Ma rencontre avec George Michael eut lieu en 1988, lors du concert donné à Wembley pour les 70 ans de Nelson Mandela. Il chanta trois morceaux, dont Sexual Healing de Marvin Gaye, et surtout Village Ghetto Land de Stevie Wonder. Une performance vocale inouïe, un choc émotionnel, mais qui ne fut le début de rien. Je n'achetai aucun disque. Pendant de très nombreuses années, personne ne me remit sur la piste de Mr George. Puis il est mort, le jour de Noël 2016. Neuf mois plus tard, je tombais par hasard sur un exemplaire abandonné, égaré de LISTEN WITHOUT PREJUDICE. Ce CD date de 1990. Beaucoup d'eau a coulé des glaciers. À ceux qui n'aiment pas ce disque, je ne dirai rien. À ceux qui ne le connaissent pas, écoutez-le. Enfin, à tous ceux qui n'ont pas le temps de prendre le temps, juste quelques chansons. Praying for time : comme une fine gueule trouve des arômes de litchi ou de fraise des bois à un grand cru, je perçois dans cette chanson une gouaille voisine de celle de John Lennon, alliée à des harmonies de Paul, le tout baignant dans un arrangement la Elton John". D'où une forte envie de poursuivre. Freedom : un titre connu pour sa vidéo, heu... très peu fleur bleue. Alors si vous craignez un usage trop profane du gospel, passez au suivant. They won't go when I go : encore une reprise de Stevie Wonder, qui surpasse celle de Village Ghetto Land. La perfection vocale et instrumentale étant indicible, je vous laisse l'imaginer. Cowboys and angels : vous aimez Nat King Cole, Frank Sinatra, Maria Callas, le jazz, la salsa, l'opéra de 4 sous ou de dix louis ? Vous ne serez pas déçu. Si vous n'aimez rien de tout ça, attendez-vous à être surpris. Waiting for that day : ça commence en Lou Reed mineur et ça se termine en Mick Jagger fataliste. Quoi de plus normal pour une refonte des Rolling Stones. Heal the pain / Soul free : deux plages rythmiques qui secouent les cocotiers. Le souffle des cuivres soulève une vague à l'envers, et ça vous envoie au large, loin du rock. Alice on her way to Wonderland. STOP. Retour à la réalité. Si quelqu'un(e) écoute ce disque après avoir lu cette chronique, j'aurai atteint mon but. Et à toi, George parmi les Georges, merci.

vendredi 5 janvier 2018

LA VIE CONJUGUE MAL (1)

Longtemps, je ne connus pas le jour et l'heure de ma naissance. Il me fallut attendre d'avoir six ans et de savoir parler pour interroger ma mère et avoir enfin une réponse. Auparavant, je lui avais posé d'autres questions par écrit, dont celle de savoir si j'avais eu une sœur. Elle m'avait répondu que non, c'était un frère et que ma sœur était dans ma tête. « C'est ça, crois le ! » me répétais-je avec un sentiment d'injustice, car presque tous mes copains avaient une sœur et d'un autre côté je déplorais un manque de réussite ou de chance, persuadé que je n'avais pu lire le jour de ma naissance sur le calendrier mural de la maternité à cause du traumatisme de l'accouchement (j'étais un gros bébé, difficile à extraire), mais là je reviens à ma première question, excusez-moi. Bref, ce n'est que vers l'âge de 55 ans que je voulus lever le voile sur la conception de mon frère, et de ma sœur, je n'en démordais pas. Voulant y voir plus clair, car je sentais que tout cela prenait une mauvaise tournure, je remis donc le sujet sur le tapis rouge du sang de nos mères, en l'occurrence la mienne, et lui posai clairement la question. Je savais que c'était la dernière occasion, qu'il n'y aurait pas de prochaine fois. Elle ne répondit pas complètement, et de façon sibylline. Ce n'est qu'après sa mort que j'ai compris ce qu'elle n'avait pas voulu dire.