dimanche 21 janvier 2018

FRAGMENTS D'UN MANIFESTE CANIN (89)

En me laissant assister à son enterrement, sans craindre les commentaires de quelque malappris, il a tenu parole et je lui en sais gré. Il a réparé le mal atroce, le seul mal qu'il m'ait jamais fait, par une journée de mai 1993, le 4 mai précisément. Ce jour-là, il s'en était allé à Nevers enterrer son ancien Premier ministre Pierre Bérégovoy. Celui-ci s'était suicidé trois jours auparavant pour une sombre affaire à laquelle je n'ai jamais rien compris, un prêt sans intérêt de un million de francs pour acheter une niche dans un quartier chic. Je n'étais pas du voyage et j'avais passé l'après-midi à l'Élysée, sommeillant, les yeux mi-clos, devant un poste de télévision que le garde avait laissé allumé pour ne rien perdre des faits et gestes de mon maître. C'est alors que je l'avais entendu tenir ces propos insensés où il fustigeait ceux qui avaient « jeté en pâture aux chiens l'honneur d'un homme ». Je n'en avais pas cru mes oreilles. Il osait nous assimiler à ces misérables scribouillards qui, jadis, lui faisaient la cour. Il osait, de surcroît, faire de nous des charognards en quête d'une nourriture malsaine. Je le savais émotif, prêt à tout sous l'effet du chagrin et de la douleur, mais je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse s'en prendre à nous, à moi, aux chiens, les seuls êtres vivants qui l'aient aimé de façon désintéressée et qui ne l'aient jamais trahi ou tenté de le faire.

BALTIQUE Le chien du Président / ABOITIM 1 © 1996

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