mardi 25 septembre 2012

FRAGMENTS D'UN MANIFESTE CANIN (1)

Loin en arrière, j'étais un chien timide. Puis, au fur et à mesure que j'ai découvert la brutalité du monde, j'ai viré chien battu. D'où cette tête inénarrable qui est devenue la mienne et que je ne souhaite à personne, pas même aux chiens qui desservent notre cause par leur comportement irresponsable. Mon père et ma mère étaient racés, mais sans pedigree. Quant à ma crainte des humains, elle vient sans doute d'un guide allemand chez qui mes parents avaient élu domicile dans les années 1946 à 1949. Il s'appelait Bodo. Un bel éphèbe, idéalement proportionné et maitrisant parfaitement ce langage articulé que certains d'entre nous se sont appropriés depuis, mais totalement atypique. Avant cet épisode, il vivait seul, alors que le grégarisme était la règle parmi ses congénères. En butte à la morale de son temps, il avait ensuite choisi de partager son quotidien avec une famille canine. Jamais il ne se piquait de montrer de quoi il était capable et son humilité n'avait d'égale que sa bienveillance. Mais ce comportement m'inquiétait, ne cachait-il pas un rêve de domination ? Cet œil brillant, ce sourcil mobile, ces muscles tendus même au repos, assujettis à toute éventualité, ce potentiel intel- lectuel très supérieur au nôtre, me faisaient craindre pour mon statut de chien du monde. Et surtout, les personnes de son entourage ne partageaient pas cette empathie à notre égard. Un jour les hommes ne voudraient-ils pas exercer un monopole absolu sur la vie en société. N'allaient-ils pas tôt ou tard déclarer les chiens indésirables, illégaux, nuisibles ?

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