BELLA
CIAO
C'est le temps d'aujourd'hui
sur les trottinettes électriques
d'anciens piétons platoniques
filent droits comme des i, des j
sous les rues sont des réseaux
qui déploient la jolie fibre liberté
et dans les foyers modernité
flambent mille pugilats sociaux
tout cela est bel et bien
oui mais est-ce que demain
les consommateurs finaux
seront de plus en plus finauds?
L'autre jour, dans la file d'attente devant le bureau de poste, j'ai vu un homme sans barbe. Son petit masque en tissu imprimé à motifs provençaux laissait apparaître son menton. Il attendait son tour, sans manifester de désordre apparent. La femme qui le précédait lui tournait le dos, peut-être n'avait-elle pas remarqué son visage glabre. Il faut dire que le soleil donnait fort et que l'homme était à contre-jour. Quelle chaleur, dis-je à cet homme rasé d'une quarantaine d'années, pour voir s'il allait bien. Oui, me sourit-il, mais on ne va pas se plaindre. Aucun signe de détresse dans son regard, pas de trouble perceptible dans le timbre de sa voix. Malgré tout, j'ai toujours à l'esprit qu'un homme sans barbe peut parfois présenter tous les aspects de la normalité et de la bonne santé, tout en étant gravement atteint. Vous vous sentez bien ? insistai-je en me rapprochant de lui. Oui, m'a-t-il dit, il faut qu'on s'habitue à ces coups de chaud, ça va devenir notre quotidien. Ensuite il est entré dans le bureau et je l'ai observé à sa sortie. Tout paraissait normal dans son comportement. Je m'étais inquiété pour rien.
Au bord du sentier, entre la mer et les rochers, il était là, posé verticalement mais sans ostentation, du fait de sa petite taille. Il n'avait l'air de rien, si ce n'est d'un petit morceau du Réel, à son corps défendant. À le voir, on aurait dit qu'il déplorait son statut de petit minéral détaché du Grand Tout, et je l'ai compris. On est sur la même longueur d'ondes me suis-je dit, lui 90 grammes de calcaire ocre brique orange, et moi 70 kilogrammes de protéines animales blafardes. Il m'a plu tout de suite. Je l'ai ramassé et glissé dans ma poche. Un peu plus loin sur le chemin, je l'ai pris dans ma main pour l'observer. J'ai pensé immédiatement à Wilson, le compagnon de Tom Hanks dans Seul au monde (Cast away, le film de Robert Zemeckis). Alors je l'ai baptisé Winston, le deuxième prénom de John. Quelquefois, je le dépose dans le petit thalweg formé par le sternum au niveau du plexus solaire. Winston, pierre de cœur.
Son ami Natch l'était depuis l'année de Paris mai, ami. Natch, il l'était devenu plus tard, quand travail prit un sens opposé à profession. Un nom venu tout droit sans droits d'auteur du Natch'l blues de Taj Mahal. Ami n'était plus statut, mais sentiment incarné, sensation physique. Des lunettes invisibles, un sourire sûr, un rire, un blouson comme un spencer, pour sûr le Jeremy de son green Peter.
Hier matin, le pigiste a publié par erreur un brouillon. Questionné vers midi au sortir de son "sas de décompensation" (une pièce remplie de carton et de papier kraft, bâtons de colle, adhésifs divers et matériaux d'emballage), il n'a pu donner d'autre explication que "c'était tôt le matin, j'avais pas la jouissance de toute ma faculté". Dont acte. Faut appeler un chiot un chiot, c'est une faute éditoriale. Pas besoin de réunir le bureau pour prendre la sanction qui s'impose, la mise à pied.