lundi 28 octobre 2019

C'est le pouvoir, le génie du romancier, celui de disparaître, de faire oublier qu'il est à l'origine de cet éventail de feuilles blanches, cousues de fil blanc (ou vivant à la colle) et couvertes de pattes de mouches. Il est d'abord cet ouvrier têtu qui amorce le mécanisme (comme le font les Dupond et Dupont pour que Tintin ait de l'air dans son scaphandre), qui pompe avec son bras gauche afin d'alimenter son bras droit en courant électrique (ou l'inverse pour les gauchers) et ainsi contracter les muscles de la main (celle qui écrit). Aïe, je me suis enlisé dans cette métaphore, tant pis c'est fait. Bref, cette crispation des doigts, cette crise digitale est un travail (obstétrique), un accouchement, et c'est ainsi que voient le jour ces bataillons de formes noires qu'on nomme lettres, agencées en un certain ordre, prêtes à en découdre. Elles racontent une bataille, créent l'illusion sur l'écran noir de nos nuits blanches (copyright Claude N.), dans l'écrin vide de notre hérédité éruptive, refroidie pour l'éternité. Disparaître en faisant naître un autre, n'être qu'un observateur, c'est le pari risqué de l'écrivain. Ainsi, Samuel Beckett peut utiliser le « je » et à aucun moment on n'imagine qu'il parle de lui. À l'inverse, d'autres utilisent « il », mais on n'a aucun doute sur le fait qu'il (ou elle) parle de lui (d'elle). Voilà, ça m'a fait une occasion de parler de lui.

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