lundi 13 février 2017

FRAGMENTS D'UN MANIFESTE CANIN (83)

Jeune chien, je n'avais pas pleine conscience de ma double appartenance et du trésor qu'elle représentait. Mon naturel canin me faisait jouir de l'existence, sans craindre un quelconque amenuisement de l'horizon. Le don de la parole, et surtout de la parole écrite, me contentait et mes copains chiens d'école, qui ne l'avaient pas tous, me disaient ma chance. Je les aidais de mon mieux en leur disant que la parole est une arme létale, qui brûle la langue, et que leurs jappements, aboiements, gémissements n'étaient pas des pis-aller, mais de véritables moyens d'expression. Ils n'étaient pas totalement convaincus par ce discours. Ce n'est qu'à l'âge mûr de raison - 7/45 ans - qu'une cassure s'est opérée dans ma Lust for life. À mes côtés, je voyais mes chiens aimés s'épanouir dans une douce plénitude, tandis que mon demi-patrimoine chromosomique d'homo sapiens sapiens prenait le pouvoir en moi. Je savais déjà, je m'en doutais. Je le sus davantage de jour en jour. Le sentiment de l'absurdité de la vie et de la marche forcée vers le néant est un éclat de lave noire qu'on ne met pas sous l'oreiller comme une vulgaire dent de lait. J'ai dépassé un cap, je suis en pleine mère et je creuse une galerie vers ma condition canine, un refuge paradoxal quand je m'enfonce et que la lumière est un souvenir qui s'estompe.

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