mardi 1 décembre 2015

                                                                                                                1.4.1965
Chers parents,

Une fois de plus je sens sous mes talons les côtes de Rossinante ; je reprends la route le bouclier au bras. Il y a de cela presque dix ans, je vous avais écrit une autre lettre d'adieu. Si je me souviens bien, je me plaignais de ne pas être meilleur soldat et meilleur médecin ; médecin, ça ne m'intéresse plus ; comme soldat, je ne suis pas si mauvais. Rien n'a changé fondamentalement, sinon que je suis beaucoup plus conscient, que mon marxisme s'est approfondi et décanté. Je crois en la lutte armée comme unique solution pour les peuples qui luttent pour se libérer, et je suis cohérent avec mes croyances. Beaucoup me traiteront d'aventurier et j'en suis un ; mais d'un type différent : de ceux qui risquent leur peau pour défendre leurs vérités. Il se peut que cette fois soit la dernière. Je ne le cherche pas, mais c'est dans le calcul logique des probabilités. Si c'est le cas, je vous embrasse pour la dernière fois. Je vous ai beaucoup aimés, seulement je n'ai pas su exprimer ma tendresse ; je suis extrêmement rigide dans mes actes et je crois que parfois vous ne m'avez pas compris. Ce n'était pas facile de me comprendre ; mais, aujourd'hui, je vous demande seulement de me croire. Maintenant, une volonté que j'ai polie avec une délectation d'artiste soutiendra des jambes molles et des poumons fatigués. Je le ferai. Souvenez-vous de temps en temps de ce petit condottiere du XXème siècle. Un baiser à Celia, à Roberto, Juan Martin et Pototin, à Beatriz, à tous.
Je vous embrasse, votre fils prodigue et récalcitrant,
                                                                                                                  Ernesto

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