lundi 18 janvier 2021

FRAGMENTS D'UN MANIFESTE CANIN  (110)

Contrairement à une idée reçue, les années ne s'écoulent pas plus vite à travers un chien qu'à travers un humain. Mais les traces qu'elles laissent - des alignements de petits os mystiques, tout comme les glaciers amassèrent des moraines - sont différentes. Chiot, je ne voyais pas plus loin que le bout de ma truffe. Si j'appréhendais la complexité du monde du réel, je n'en mesurais pas la taille. James Purdy était en photo dans L'Express pour son livre "Les Œuvres d'Eustace". Il y avait aussi cet "Essai de quelque envergure sur la crasse" de Christian Enzensberger. Je l'avais trouvé mais ne le lisais pas. Illisible, il l'était, mais infiniment moins que le réel qui se déployait en silence dans mon dos. Le nombre innommable, le nom innombrable. Rien ni personne ne peut s'attaquer à ces deux siamois qui, à tour de rôle, dévoilent et recouvrent le Réel (un R majuscule, mais sans respect, avec rage). Voilà ce que j'ai découvert sur le tard et qui me rend fou. Si j'avais su en tirer les conséquences dans la force de l'âge, ou si j'en avais eu la prescience, tout serait effacé. Malheureusement, cela n'est pas advenu. Aveuglé par je ne sais quelle espérance, j'ai jeté mon petit caillou dans la fosse. Et maintenant que l'illusion est mise à nu, j'aspire au néant. Emil a tout dit, en son nom et en d'autres : tout est superflu, le vide aurait suffi.

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