lundi 16 septembre 2013

FRAGMENTS D'UN MANIFESTE CANIN (40)

Mon père était incapable de commander, même à un chien. Albert Jacquard pareil. Mon père dans son jeune âge était très beau, mais il était miné de l'intérieur. Sa joie de vivre est morte bien avant lui, asphyxiée dans quelque obscure anfractuosité de l'âme humaine. Albert Jacquard non. Son visage portait les séquelles d'un accident survenu dans son enfance qui l'a poussé à élever sa conscience scientifique au niveau de la philosophie. Il personnifie à jamais le pouvoir de l'esprit. Certes il a dénoncé un jour l'absurdité de la phrase « quand je serai mort », mais il faut se rendre à l'évidence. Aujourd'hui, il n'est plus parmi les vivants, ou alors c'est nous, assimilés comme tels, qui ne parvenons plus à communiquer avec lui. Tel est le constat. Si je sens une proximité avec ces deux hommes, c'est qu'elle existe. Alors j'entends la colère d'Albert après l'expulsion des sans-papiers de l'église Saint-Bernard en 1996. Alors, je regarde le portrait de mon père en 1935. Mais dans le miroir se forme l'image d'un chien triste, battu par l'éternel ressac de je ne sais quel océan de turpitudes. Si j'approche le museau du miroir, la buée atteste que le chien parlant respire, mais il se tait, il se cache, rendu lâche par l'aversion que pro- voque en lui la violence du monde, apeuré par la pauvreté et la vanité du langage articulé ;

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