samedi 8 septembre 2012

LA FIN (...)

"Je ne travaillais pas tous les jours. Je n'avais presque pas de frais. J'arrivais même à mettre un peu de coté, pour les tout derniers jours. Les jours où je ne travaillais pas, je restais couché dans la remise. Elle se trouvait au bord du fleuve, dans une propriété privée, ou qui l'avait été. Le jour où j'adoptai cette remise, j'y trouvai un canot, la quille en l'air. Je le retournai, le calai avec des pierres et des morceaux de bois, enlevai les bancs et en fis mon lit. Les rats avaient du mal à arriver jusqu'à moi, à cause de l'inclinaison de la coque. Ils en avaient pourtant bien envie. Pensez donc, de la chair vivante, car j'étais quand même encore de la chair vivante. Il y avait trop longtemps que je vivais parmi les rats, dans mes logements de fortune, pour que j'en eusse la phobie du vulgaire. J'avais même une sorte de sympathie pour eux. Ils venaient avec tant de confiance vers moi, on aurait dit sans la moindre répugnance. Ils faisaient leur toilette, avec des gestes de chat. Les crapauds, eux, le soir, immobiles pendant des heures, ils pompent les mouches. Ils se mettent aux endroits où le couvert passe au découvert, ils aiment les seuils. Mais il s'agissait de rats d'eau, d'une maigreur et d'une férocité exceptionnelles. Je construisis donc, avec des planches éparses, un couvercle. C'est formidable ce que j'ai pu trouver comme planches dans ma vie, chaque fois que j'avais besoin d'une planche elle se trouvait là, il n'y avait qu'à se baisser. J'aimais bien bricoler, non, pas tellement, comme ça. Il recouvrait le canot entièrement, je parle maintenant à nouveau du couvercle. Je le poussais un peu vers l'arrière, j'entrais dans le canot par l'avant, je rampais jusqu'à l'arrière, je levais les pieds et je repoussais le couvercle vers l'avant jusqu'à ce qu'il me recouvrit entièrement. La poussée s’exerçait contre une traverse en saillie que j'avais fixée au dos du couvercle à cet effet, j'aimais bien bricoler. Comme prise pour mes mains, je plantai deux grands clous, là où il fallait. Ces petits travaux de menuiserie, si j'ose dire, exécutés avec des instruments et des matériaux de fortune, ne me déplaisaient pas. Je savais que ce serait bientôt fini, alors je jouais la comédie, n'est-ce pas, celle de - comment dire, je ne sais pas"...

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