lundi 27 août 2012

LA CASSEROLE ROUGE (6) 

Le chef Armand pratiquait une cuisine naturelle, à base de légumes locaux servis avec des œufs pochés ou brouillés, ainsi que sa fameuse omelette aux cèpes. Les clients plus aisés pouvaient commander de la volaille ou du rôti de veau. Très peu de fromages, pas de poisson. Francis était particulièrement sensible à la manière révolutionnaire dont ces plats étaient servis. Pas de cuissons lentes ni à l’étouffée, mais des viandes fricassées, des légumes émincés et poêlés. Oignons et champignons avaient une place de choix dans la cuisine du chef. Quelquefois, Francis s’attardait après dîner et discutait avec Armand qui finissait son service au bar devant un Costanza (une rasade de quinquina dans une bock de bière blanche). La conversation portait très rarement sur les denrées et consommables, mais plutôt sur le canal de Saint-Quentin et la Picardie dont Armand était natif. Un soir pourtant, Francis dit au chef sur le ton du Conventionnel qui a ses entrées au Comité de Salut Public : « Je vais te faire goûter une production exotique ». Quelques jours plus tard, Francis extirpait délicatement de sa poche un sachet contenant une poignée de champignons secs, alvéolés, à la forme de parapluie pour limace et le tendit au Robespierre de la poêle à frire. Il se régala de la surprise du chef devant ces quelques grammes d'une substance sombre et hydrophile, légère comme la plume et parfumée comme l'encens. « Tu es sûr que ça se mange ? À l'odeur, on dirait plutôt que ça se fume »

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