dimanche 15 juillet 2012

LA CASSEROLE ROUGE (4)

En réalité, la casserole rouge faisait partie des meubles. Vers l'âge de quinze ans, alors que mon intérêt pour la peinture commençait à prendre forme, un détail du tableau auquel je n'avais pas prêté attention se mit à m'intriguer. En bas à droite, la signature de l'artiste était tracée en lettres grasses et déliées. À distance raisonnable du tableau, on lisait clairement : Vincent. Le V majuscule avait cette forme particulière, évasée et arrondie comme un vase dessiné par un enfant de trois ans. Exactement comme sur un tableau de Van Gogh qui m’intriguait tout autant, mais pas pour les mêmes raisons, les tournesols. Un jour que mon grand-père était penché par dessus mon épaule et observait d'un œil attentif - il avait été instituteur - mon travail en cours, je lui dis en me tournant vers la casserole qui rayonnait dans la clarté de la mi-journée « tu as vu, le tableau est signé Vincent, comme les tournesols de Van Gogh ». Il prit alors cet air plus que sérieux, sévère que je connaissais bien et qui précédait presque toujours un fin heureuse « Ah, tu as remarqué ? » Puis, avant que j'aie pu placer un mot, comme on abat un carré de rois ou un full aux as : « mais c'est un Van Gogh ! ». Jouissant du plaisir de voir mon air ahuri, il laissa s'écouler une ou deux secondes, puis les plis sur son front se déplacèrent de chaque coté de ses yeux. Son visage était rempli de ce sourire radieux, si caracté- ristique. Il n'aimait rien tant que la juxtaposition du sérieux et du léger. Il ôta ses lunettes. « T'ai-je déjà parlé de mon père ? ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire