lundi 25 juin 2012

LA CASSEROLE ROUGE (3)

Le tableau était sobre et ambigu. Minimaliste dans le choix du sujet, mais pas dans la manière. Une nature morte est rarement révolutionnaire et celle-ci ne faisait pas exception à la règle. En revanche, le style très dépouillé trahissait une impatience, peut-être une exaspération. Les touches de rouge brique et de rose de la casserole portaient la marque d'un geste vif, pressé d'en finir avec cet objet sur le feu. Même sensation avec la teinte brune indéfinissable de la fonte, luisante d'une patine grasse que j'imaginais due au pinceau chargé de l'artiste. Autre bizarrerie, la contemplation de cette image domestique menait à deux impressions contradictoires. La première était rassurante, en rapport avec la cuisine à l'ancienne et la satisfaction gustative qui lui est associée, par un réflexe conditionné bien compréhensible. L'autre était interrogative, car la scène était passa- blement désincarnée, déshumanisée. Du métal, de la patine, un tuyau, une clé. Aucun signe de présence humaine. Seule la serviette donnait une touche plus familière, mais pas un verre sur un bord de table, pas un journal ou un pied de chaise pour s'approprier ce coin de cuisine. Rien que l'absence.

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