vendredi 29 juillet 2011

Souviens-toi de l'ami qui tendait sa raison pour recueillir tes larmes, jaillies de la source gelée que violait le soleil du printemps.

Souviens-toi que l'amour triompha quand elle et toi vous sûtes vous soumettre à son feu jaloux, priant de mourir dans la même flamme.

Mais souviens-toi qu'amour n'est de personne, qu'en ton cœur de chair n'est personne, que le soleil n'est à personne, rougis en regardant le bourbier de ton cœur.

Souviens-toi des matins où la grâce était comme un bâton brandi, qui te menait, soumis, par tes journées, - heureux le bétail sous le joug !

Et souviens-toi que ta pauvre mémoire entre ses doigts gourds laissa filer le poisson d'or.

Souviens-toi de ceux qui te disent : souviens-toi, - souviens-toi de la voix qui te disait : ne tombe pas, - et souviens-toi du plaisir douteux de la chute.

Souviens-toi, pauvre mémoire mienne, des deux faces de la médaille, - et de son métal unique.


René Daumal - 1942

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