lundi 11 mai 2020

Interview de Serge Cazzani en 2011 (2)


N. O. - En 1981, vous aviez 46 ans, vous avez largement eu le temps de connaître votre oncle. Quels souvenirs gardez-vous de lui?
S. Cazzani - Je l'ai connu pendant une quarantaine d'années. Chaque été, quand il venait à Sète, il passait un à deux mois chez nous. C'était la fête. Il avait une carabine 22 long rifle et, quand j'avais 12 ou 13 ans, il m'emmenait tirer avec contre un mur. Il n'était pas rare qu'on se prenne par ricochet un peu de plomb sur les cuisses. Il m'avait aussi appris à gonfler des ballons de baudruche qu'on jetait sur les passants...

N. O. - Vous le décrivez comme très joueur, pourtant lui-même n'a jamais eu d'enfant. Comment l'expliquez-vous?
S. Cazzani - Il y a au moins deux raisons à cela. La première est qu'il était d'un naturel lucide voire pessimiste; il ne voulait pas mettre sur cette terre un être destiné à souffrir. La seconde est qu'il était épris de liberté et qu'un enfant aurait rendu sa vie compliquée. Mais pour revenir à la première raison, je pense que c'est plus complexe que ce que je viens d'expliquer, dans la mesure où je suis moi-même assez pessimiste. Quelques mois avant sa mort, je lui faisais part de mes inquiétudes quant à l'avenir de notre monde et il avait tenté de me rassurer, de me convaincre que j'avais tort.

N. O. - Le 30e anniversaire de sa mort est l'occasion d'une exposition majeure à la Cité de la Musique, de la publication d'une bonne dizaine d'ouvrages, tandis que des films et documentaires sont en préparation et que la réédition d'une intégrale est prévue à la rentrée. Comment expliquez-vous que, de décennie en décennie, son oeuvre ne cesse de grandir?
S. Cazzani - Cela prend en effet des proportions inouïes. En plus de l'exposition qui va durer six mois, il y a effectivement trois ou quatre films en préparation. L'intégrale dont vous parlez sera agrémentée de nombreux inédits retrouvés à l'INA et dans les archives d'Universal. Je regrette simplement qu'il faille attendre un anniversaire pour que tout se bouscule. Enfin, je dis cela parce que j'ai mauvais caractère... Il faut savoir qu'il n'y a pas que la France qui lui rend hommage, je reçois des demandes d'Amérique du Sud, du Japon, d'Israël ou de la Libye. Je suis ravi que dans ces régions du monde on soit sensible à la philosophie de Brassens.

N. O. - Brassens fait quasiment l'unanimité. Vous arrive-t-il cependant d'être blessé quand on l'attaque?
S. Cazzani - On salue toujours sa prosodie, l'emploi qu'il fait de la langue et sa versification, mais la musique passe trop souvent au second plan. Je le regrette, et Georges le déplorait lui-même. Mais pour répondre à votre question, quand j'entends des critiques sur mon oncle, j'éprouve plus de mépris que de haine.

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