N. O. - En 1981, vous aviez 46 ans, vous avez largement eu le temps de connaître votre oncle. Quels souvenirs gardez-vous de lui?
S. Cazzani - Je l'ai connu
pendant une quarantaine d'années. Chaque été, quand il venait à Sète, il
passait un à deux mois chez nous. C'était la fête. Il avait une
carabine 22 long rifle et, quand j'avais 12 ou 13 ans, il m'emmenait
tirer avec contre un mur. Il n'était pas rare qu'on se prenne par
ricochet un peu de plomb sur les cuisses. Il m'avait aussi appris à
gonfler des ballons de baudruche qu'on jetait sur les passants...
N. O. - Vous le décrivez comme très joueur, pourtant lui-même n'a jamais eu d'enfant. Comment l'expliquez-vous?
S. Cazzani - Il y a au moins
deux raisons à cela. La première est qu'il était d'un naturel lucide
voire pessimiste; il ne voulait pas mettre sur cette terre un être
destiné à souffrir. La seconde est qu'il était épris de liberté et qu'un
enfant aurait rendu sa vie compliquée. Mais pour revenir à la première
raison, je pense que c'est plus complexe que ce que je viens
d'expliquer, dans la mesure où je suis moi-même assez pessimiste.
Quelques mois avant sa mort, je lui faisais part de mes inquiétudes
quant à l'avenir de notre monde et il avait tenté de me rassurer, de me
convaincre que j'avais tort.
N. O. - Le 30e
anniversaire de sa mort est l'occasion d'une exposition majeure à la
Cité de la Musique, de la publication d'une bonne dizaine d'ouvrages,
tandis que des films et documentaires sont en préparation et que la
réédition d'une intégrale est prévue à la rentrée. Comment
expliquez-vous que, de décennie en décennie, son oeuvre ne cesse de
grandir?
S. Cazzani - Cela prend en
effet des proportions inouïes. En plus de l'exposition qui va durer six
mois, il y a effectivement trois ou quatre films en préparation.
L'intégrale dont vous parlez sera agrémentée de nombreux inédits
retrouvés à l'INA et dans les archives d'Universal. Je regrette
simplement qu'il faille attendre un anniversaire pour que tout se
bouscule. Enfin, je dis cela parce que j'ai mauvais caractère... Il faut
savoir qu'il n'y a pas que la France qui lui rend hommage, je reçois
des demandes d'Amérique du Sud, du Japon, d'Israël ou de la Libye. Je
suis ravi que dans ces régions du monde on soit sensible à la
philosophie de Brassens.
N. O. - Brassens fait quasiment l'unanimité. Vous arrive-t-il cependant d'être blessé quand on l'attaque?
S. Cazzani - On salue toujours
sa prosodie, l'emploi qu'il fait de la langue et sa versification, mais
la musique passe trop souvent au second plan. Je le regrette, et Georges
le déplorait lui-même. Mais pour répondre à votre question, quand
j'entends des critiques sur mon oncle, j'éprouve plus de mépris que de
haine.
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