mercredi 22 mars 2017

JOURS INTRANQUILLES À AUVERS (22)

Lettre à Théo  (sans date)*

Mon cher frère,
Merci de ta bonne lettre et du billet de 50 francs qu'elle contenait.
Je voudrais bien t'écrire sur bien des choses mais j'en sens l'inutilité. J'espère que tu auras retrouvé ces messieurs en de bonnes dispositions à ton égard.
Que tu me rassures sur l'état de paix de ton ménage, ce n'était pas la peine, je crois avoir vu le bien autant que l'autre côté. Et suis tellement d'ailleurs d'accord que d'élever un gosse dans un quatrième étage est une lourde corvée tant pour toi que pour Jo. Puisque cela va bien, ce qui est le principal, pourquoi insisterais-je sur des choses de moindre importance, ma foi, avant qu'il y ait chance de causer affaires à tête plus reposée, il y a probablement loin. Voilà la seule chose qu'à présent je puisse dire et que cela pour ma part je l'ai constaté avec un certain effroi, je ne l'ai pas caché déjà. Mais c'est bien là tout. Les autres peintres, quoiqu'ils en pensent, instinctivement se tiennent à distance des discussions sur le commerce actuel. Eh bien vraiment, nous ne pouvons faire parler que nos tableaux. Mais pourtant mon cher frère, il y a ceci que toujours je t'ai dit et je le redis encore une fois avec toute la gravité que peuvent donner les efforts de pensée assidûment fixée pour chercher à faire aussi bien qu'on peut, je te le redis encore, je considérerai toujours que tu es autre chose qu'un simple marchand de Corot, que par mon intermédiaire tu as ta part à la production même de certaines toiles, qui même dans la débâcle gardent leur calme. Car là nous en sommes et c'est là tout au moins le principal que je puisse avoir à te dire dans un moment de crise relative.. Dans un moment où les choses sont fort tendues entre marchands de tableaux d'artistes morts et d'artistes vivants. Eh bien, mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié - bon - mais tu n'es pas dans les marchands d'hommes pour autant que je sache, et tu peux prendre parti, je le trouve, agissant réellement avec humanité, mais que veux-tu ?

* brouillon de lettre que Vincent portait sur lui le 29 juillet

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