lundi 27 mars 2017

JE SUIS NOMBREUSE (5)

Grandmother

My grandmother used to tell me : « ne t’inquiète pas, tu es comme ça, et si tu te sens bien, les autres ne t’atteindront pas ». J’ai grandi comme un garçon. Je faisais beaucoup de sport, surtout du foot. Un jour après l’entraînement, j’avais quinze ans et demi, l’entraîneur nous a dit : « allez, tous à la douche, séance tenante, et tous à poil ! ». Et là, les autres m’ont regardé comme s’ils me voyaient pour la première fois.
« C’est pas possible, you are a girl ! »
Ils ne comprenaient plus rien. Le  garçon qu’ils connaissaient, leur pote de jeu, était une fille. L’entraîneur m’a viré. Les copains m’ont largué. J’ai pleuré toute la nuit. Le lendemain je suis allé voir ma grand-mère. Ce qu’elle me disait toujours, lorsque j’étais petit, m’avait aidé, jusqu’à présent, à résister. Mais cette fois-ci, j’étais atteinte au  plus profond. Tout en moi s’écroulait. Et pour la première fois, je ne savais plus qui j’étais.
Ma grand-mère était malade. Elle m’a regardé du fond de l’oreiller et je n’ai rien eu à dire. Elle avait compris. Elle a pris ma main, la sienne était froide, j’ai senti couler mes larmes, elle m’a fait signe de m’approcher, et je l’ai entendue : « don’t worry, tu es belle ». Est-ce vraiment ce qu’elle m’a dit ? Je ne le saurai jamais. Deux jours plus tard, je la perdais. Mais je sais que tout a changé, depuis ce moment là.
Aujourd’hui, je suis vieille. À mon tour. Et je peux dire que j’ai vécu en femme heureuse. Sans ma grand-mère, je serais sans doute devenue comme presque tous ceux qui, à la naissance, ne sont ni fille ni garçon : un ange déchu. Une plaie béante.

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