mercredi 22 février 2017

JOURS INTRANQUILLES À AUVERS (19)

Lettre à Théo et Jo  (vers le 10 juillet 1890)

Chers frère et sœur,
La lettre de Jo a été pour moi réellement comme un évangile, une délivrance d'angoisse, que m'avaient causé les heures un peu difficiles et laborieuses pour nous tous, que j'ai partagées avec vous.
Ce n'est pas peu de chose lorsque tous ensemble nous sentons le pain quotidien en danger, pas peu de chose lorsque pour d'autres causes que celle-là aussi nous sentons notre existence fragile. Revenu ici, je me suis senti moi aussi encore bien attristé et avais continué à sentir peser sur moi aussi l'orage qui vous menace.
Qu'y faire, voyez-vous je cherche d'habitude à être de bonne humeur assez, mais ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même, mon pas aussi est chancelant. J'ai craint - pas tout à fait, mais un peu pourtant - que je vous étais redoutable étant à votre charge, mais la lettre de Jo me prouve clairement que vous sentez bien que pour ma part, je suis en travail et peine comme vous.
Revenu ici je me suis remis au travail - le pinceau pourtant me tombant presque des mains - sachant bien ce que je voulais, j'ai encore depuis peint trois grandes toiles. Ce sont d'immenses étendues de blé sous des ciels troublés et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême. Vous verrez cela j'espère sous peu, car j'espère vous les apporter à Paris le plus tôt possible, puisque je croirais presque que ces toiles vous diront ce que je ne sais dire en paroles, ce que je vois de sain et de fortifiant dans la campagne. Maintenant, la troisième toile est le jardin de Daubigny, un tableau que je méditais depuis que je suis ici.
( à suivre )

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