La justice
Ils étaient là, tous amaigris, avec une faim sans fond qu’on voyait scintiller dans le puits de
leurs yeux. Leurs corps entiers étaient enduits
d'une résine brune, magnétique, scrofuleuse. Ils m’attiraient plus qu’un
aimant et suçaient mes pensées. La langue
qu’ils parlaient n'avait rien d’humain.
Pourtant c’était des hommes, des femmes comme vous et moi, sous cette résine un
peu gluante, un peu collante, un peu puante, qui ruinait en les cabossant les
courbes de leurs corps. J’entendais murmurer une douleur sans fin à l’intérieur d’eux. Je voulais leur parler
de la résistance, de la rébellion, d’une révolution, du rétablissement de
l’égalité et de la justice, mais leurs
regards hallucinés, leur attitude, leurs gestes, me
l’interdisaient. Et tout d’un coup, j’eus peur. Une peur panique. Ils
s’approchaient de moi. Ils allaient
m’emporter. Avec une puissance que seule la frayeur peut procurer,
je me suis jetée sur eux, en hurlant
comme une folle, et j’ai arraché au plus proche d’entre eux un pan entier de la
résine qui lui couvrait le torse. J’ai vu alors apparaître, sous la
déchirure, des couleurs extraordinaires.
Si vives, si lumineuses, si
chatoyantes, que j’en fus éblouie. Et en les montrant du doigt, je
m’entendis crier :« Vous voyez ! Elle est là, la
justice ! ». C'est à cet instant qu'ils ont disparu. Aspirés par le vide.
Et je suis restée debout, bras ballants, langue pendante, avec les yeux
en face d'un trou.
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