lundi 20 février 2017

Au début des années 60, quelque chose a changé. C'est comme si le rideau, très épais, très lourd, qui avait lentement été tiré devant le spectacle des ruines de la 2ème guerre mondiale, était enfin en place. On était bien obligés de regarder dans une autre direction. Je dis bien un rideau, et non un trait. Plus tard, un voile plus fin a remplacé cette paroi opaque. Pour les parents, l'horizon s'était éclairci, ils profitaient de la vie et pelaient la banane par les deux bouts. Nous, baby boomers, étions des enfants sages. À l'école on apprenait, à la maison on aidait. Ma mère m'envoyait faire des petites courses. Le pain, un peu d'épicerie. Régulièrement, elle me chargeait de peigner les franges du tapis. Pour mon père, je pliais les sacs de jute entassés dans un coin du garage. C'étaient les sacs des journaux qu'il livrait le matin dans les villages aux épiciers, buralistes, dépôts de presse. Mon oncle médecin nous chargeait, mon cousin et moi, de l'accueil des patients : leur ouvrir la porte et les guider vers la salle d'attente. Bizarrement, mon grand-père ne me confiait aucune tâche, même minime. Peut-être pensait-il que travail n'est pas synonyme d'action et que les choses de l'esprit sont le premier patrimoine qu'un enfant se constitue. Il m'emmenait marcher avec lui, et se réjouissait du fait que je le suive et que je n'en sois pas mécontent. Il m'a surtout appris que les mots sont vivants et qu'il faut en prendre soin. Alors je m'y emploie, dénudant le fil des mots sous tension, attentif à ce qu'aucun sens mal versé n'abreuve son sillon. N.B. Ceci n'est pas un rêve, mais je lui attribue le même libellé. P.S. Ceci n'est pas un BT15, c'est un BT19, mais je déroge à mes propres règles.

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