mercredi 16 novembre 2016

JOURS INTRANQUILLES À AUVERS (11)

Lettre à sa mère  (12 juin 1890)

Chère mère,
J'ai été frappé, dans votre lettre, par le passage où vous dites que, pendant votre séjour à Nuenen, vous avez tout revu « avec un sentiment de reconnaissance que cela vous ait appartenu autrefois » - et celui de l'abandonner, sereinement, à d'autres. Insaisissable, comme des images dans un miroir - c'est ainsi que cela s'est passé ; la vie, le pourquoi des séparations et des départs, la persistance de l'angoisse, il n'y a rien de plus à en comprendre. Pour moi, la vie peut bien demeurer solitaire. De ceux à qui j'ai été le plus attaché, je n'ai rien saisi de plus que des images dans un miroir.
Et pourtant, il y a une chose bien réelle, le fait qu'il y ait aujourd'hui, parfois, plus d'harmonie dans mon travail. La peinture se suffit à elle-même. J'ai lu quelque part, l'année dernière, qu'écrire un livre ou faire un tableau, c'est comme avoir un enfant. Même si je n'ose prendre à mon compte cette affirmation, j'ai toujours pensé que la dernière chose était la plus naturelle, la meilleure, en admettant qu'il en soit ainsi, en admettant que les trois se valent. C'est pourquoi je fais de mon mieux, bien que ce travail-là soit justement le moins compris, et c'est le seul lien qui relie pour moi le passé au présent.
Il y a beaucoup de peintres ici, au village, près de chez moi toute une famille d'américains passe ses journées à peindre, mais je n'ai encore rien vu sortir de leur travail, en général c'est plutôt mince.
Théo, sa femme et son enfant sont venus dimanche, et nous avons déjeuné chez le Dr Gachet. Mon petit homonyme a fait, pour la première fois, connaissance avec le monde animal, vu que la maison compte huit chats, trois chiens, ainsi que des poules, des lapins, des canards, des pigeons, etc., en grand nombre. Mais il n'y a pas encore compris grand chose, à mon avis. En revanche, il a bonne mine, Théo et Jo aussi. Je me sentais très réconforté d'être plus près d'eux. Je pense que vous les verrez d'ici peu, vous aussi.
Encore une fois, merci pour votre lettre, j'espère que Wil et vous-même êtes toujours bien portantes et je vous embrasse en pensée.
                                                                                                            Votre affect.
                                                                                                                 Vincent.

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