mercredi 20 juillet 2016

JOURS INTRANQUILLES À AUVERS (4-fin)

Lettre à Théo et Jo  (sans date)
Parlons maintenant du Dr Gachet. J'ai été le voir avant-hier, je ne l'ai pas trouvé. De ces jours-ci je vais très bien, je travaille dur, ai quatre études peintes et deux dessins. Tu verras un dessin d'une vieille vigne avec une figure de paysanne. Je compte en faire une grande toile. Je crois qu'il ne faut aucunement compter sur le Dr Gachet. D'abord il est plus malade que moi à ce qu'il m'a paru, ou mettons juste autant, voilà. Or lorsqu'un aveugle mènera un autre aveugle, ne tomberont-ils pas tous deux dans le fossé ? Je ne sais que dire. Certes ma dernière crise, qui fut terrible, était due en considérable partie à l'influence des autres malades, enfin la prison m'écrasait et le père Peyron n'y faisait pas la moindre attention, me laissant végéter avec le reste corrompu profondément.
Je peux avoir un logement, trois petites pièces à 150 francs par an. Cela, si je ne trouve pas mieux, et j'espère trouver mieux, en tout cas est préférable au trou à punaises chez Tanguy et d'ailleurs j'y trouverais un abri moi-même et pourrais retoucher les toiles, qui en ont besoin. De telle façon les tableaux s'abîmeraient moins et en les tenant en ordre la chance d'en tirer quelque profit augmenterait. Car - je ne parle pas des miennes - mais les toiles Bernard, Prévot, Russell, Guillaumin, Jeannin, qui étaient égarées là, c'est pas leur place. (...)
Il est certain, je crois que nous songeons tous au petit, et que Jo dise ce qu'elle veut. Théo comme moi j'ose croire nous rangerons à son avis. Moi je ne peux dans ce moment que dire que je pense qu'il nous faut du repos à tous. Je me sens - raté. Voilà pour mon compte - je sens que c'est là le sort que j'accepte et qui ne changera plus. Mais raison de plus, mettant de côté toute ambition, nous pouvons des années durant vivre ensemble sans nous ruiner de part ou d'autre. Tu vois qu'avec les toiles qui sont encore à Saint-Rémy, il y a au moins huit avec les quatre d'ici, je cherche à ne pas perdre la main. Cela c'est absolument pourtant la vérité, c'est difficile d'acquérir une certaine facilité de produire et, en cessant de travailler, je la perdrais bien plus vite et plus facilement, que cela m'ait coûté de peines pour y arriver. Et la perspective s'assombrit, je ne vois pas l'avenir heureux du tout.
Écris-moi par retour, si tu n'as pas encore écrit, et bonnes poignées de main en pensée, j'espérerais qu'il y eût une possibilité de se revoir bientôt à têtes plus reposées.
                                                                                                                     Vincent

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