AUTOUR DE LA MAISON (10)
Les voix se firent plus impérieuses juste
avant de se taire. Comme si tous ces murmures, tous ces sapins
m'avaient conduite à un endroit précis où ils voulaient que je me pose. Et je vis cette vieille femme qui
m'attendait depuis longtemps. Elle était là, en face de moi. La mère de
mon père. J'étais très petite. Elle était debout et elle s'approchait.
Ses yeux éteints. Sa bouche tordue. Je ne pouvais pas faire un geste. Horrifiée. Pétrifiée. J'avais la mort en face de moi, qui venait me chercher.
J'étais persuadée que ce serait la fin dès qu'elle me toucherait. Elle étendit le bras. Elle ne me voyait
pas mais elle savait que j'étais là. Je fermai les yeux. J'allais mourir. Je sentis sa main se poser sur moi. Sur
le dessus de ma tête. Puis elle descendit le long de ma joue. Elle me
caressait. Une caresse tellement douce, tellement tendre, tellement affectueuse, que j'en eus les larmes aux
yeux. Son visage, là, tout près, était toujours
aussi affreux. Mais elle me parlait
d'une voix si aimante, si belle, si bouleversante que ma terreur avait fait
place à un infini bonheur. Et
elle m'a dit « Ma petite fille, je
suis heureuse que tu sois là. Et que tu n'aies plus peur de moi » Je ne répondis rien, mais je posai ma tête
contre son ventre chaud. Et nous restâmes ainsi, sans bouger, sans parler, toute un éternité. Tu vois, finit par me
souffler le sapin le plus proche, en te prenant par la main, ta grand-mère aveugle, la mère de ton père, t'a fait
traverser la mort. Alors aujourd'hui pourquoi
as-tu peur de perdre ta mère ? Un silence de bébé qui dort. Quelques branches qui frémissent. Les sapins s'étaient tus. Je
savais qu'aujourd'hui ils ne parleraient
plus. Je me penchai sur l'eau, m'aspergeai le
visage et glissai sur une pierre. Je m'étalai dans l'eau glacée et je
poussai
un cri de bête. En tentant de me redresser, je tombai à nouveau. J'étais
trempée jusqu'aux os. Je finis par me relever, courus à la
voiture, ôtai en grelottant mes vêtements mouillés, les jetai dans le
coffre et
me retrouvai nue, à côté du volant. Juste
à ce moment là, la voiture du garde forestier passa, puis ralentit, s'arrêta, puis recula, s'arrêta à mon niveau, tandis que je cherchais partout autour de moi
quelque chose à me mettre.
( à suivre )
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