lundi 28 décembre 2015

AUTOUR DE LA MAISON  (8)

Le cri d'un corbeau me fit tressaillir. Puis je me pris à songer aux voyages que j'avais faits. À mon premier séjour au sud du Sénégal. À mon retour, j'avais raconté à mon père comment j'avais vécu dans un petit village, sans électricité, sans route et sans voiture. D'ordinaire peu démonstratif, il s'était exclamé « c'était comme ça ici, quand j'étais gosse, à la montagne, on vivait comme ces gens que tu connais là-bas ! » Et en un éclair j'avais mesuré le bouleversement énorme qui avait secoué le monde, ici après la guerre. Là-bas au Sénégal, dans les petits villages il commençait à peine, mais il allait si vite que bientôt la planète entière connaîtrait le même rythme : le rythme des moteurs. Les voix des sapins reprirent leurs murmures. La ferme de ton père a fondu dans les pierres, dans une mer de verdure, comme fondent en ce moment les glaces du Groenland, quelque chose de vertigineux, vous les hommes vous croyez pouvoir évaluer l'ampleur du changement, l'ampleur de la portée de vos propres actions, regarde, ma petite murmurait l'un d'entre eux en pointant vers mon cœur le bout d'une petite branche. Regarde-nous, tu nous connais, on n'a pas l'habitude de raconter des craques, sauf par temps de grand vent, regarde tout ce vert, toutes ces mousses qui nous poussent, sur les bois morts de nos efforts, regarde-nous et souviens toi, cette planète change à toute vitesse, et de plus en plus vite, tu crois qu'un jour ou l'autre ça devra s'arrêter mais tu as la vue basse, là où tu vois une fin il n'y a qu'un début, ça bouge ça bouge ça bouge sans cesse, les espèces naissent et disparaissent, de nouvelles prennent leur place, vous les hommes, tout comme nous, vous n'y couperez pas. Les sapins s'assombrirent. Au fur et à mesure qu'ils prenaient l'air sévère, je voyais s'avancer un nuage au dessus de leur tête. Ils changèrent de sujet, passant du coq à l'âne comme à leur habitude.
( à suivre )

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