lundi 21 décembre 2015

AUTOUR DE LA MAISON  (7)

Mais au lieu de m'oppresser, ils m'accueillaient à bras ouverts. Le bruit de la rivière comme le rire du grand-père. Ici je me sentais en sécurité absolue. La voiture s'est garée toute seule. Toujours au même endroit. Là où je venais écrire du bizarre, à bicyclette, en mobylette, j'avais seize dix sept ans. Une table et deux bancs pas loin de la route. La rivière, tout près, muait en torrent. Elle muait sans qu'on la voie, quelques mètres plus bas, avec de petits cris d'oiseau. Je descendis de la voiture. J'avais les jambes qui flageo- laient. J'allai m'assoir au bord de l'eau. Ici ma mère n'avait pas d'âge. Les sapins se tenaient bien droit. Je demeurai la tête levée, assez longtemps, ainsi que je le faisais, bien des années auparavant. Peu à peu les sapins se mirent à onduler, impercep- tiblement, puis leur danse devint plus osée. Elle épousait la brise en d'ardentes étreintes. Au début je n'entendais rien sinon les cris d'oiseaux mais petit à petit me parvenaient des sons, plutôt des murmures, qui me saisissaient et mobilisaient toute mon attention. Je me dis tout à coup que c'était pure folie. Et dans le même temps je pensai que oui, j'aurais pu devenir folle, si je n'avais pas laissé, avec les sapins, dans ces moments-là, ma folie se lâcher. Les sapins. Leur voix douce. Les mots qu'ils finissent par dire, quand nos oreilles se changent en feuilles. Ce jour là ils me parlèrent de la famille de mon père. Tu vois ce petit homme, me soufflaient-ils, ce petit homme presque fluet, à la voix douce, au regard droit, il croyait au bon Dieu, tous les dimanches matin il allait à la messe, il vous y amenait, et cependant jamais il ne vous a parlé de sa foi si présente. Elle se voyait toute seule. Il a grandi dans la montagne, là où l'on parle avec les yeux. Aîné de deux garçons. Tu n'as rien connu de leur ferme. Lorsqu'il t'y a conduite, un jour d'été, l'après-midi, tu avais six ans, tu t'en souviens mal, tu vois quand même ces murs en ruine, envahis par les ronces. « Papa regarde les belles mûres, s'il te plaît tu peux en cueillir ? » Il en cueille quelques-unes et les pose dans ta main, elles sont délicieuses. Ton père te dit « Tu sais, la ferme était très vieille » tu ne comprends pas mais tu as le goût de la mûre dans la bouche, et pour toi la ferme se tient toute entière dans ce petit fruit. Tu n'as pas vu la ferme mais tu y as goûté. Et à la place des ruines tu as trouvé la vie. Les sapins se turent. Je savais que parfois leur voix s'évaporait.
( à suivre )

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