lundi 14 décembre 2015

AUTOUR DE LA MAISON  (6)

La route qui menait aux sapins sillonnait la vallée, reliant deux villages dont l'évolution, ces dernières années, prenait un sens inverse. Celui du bas, où la vallée s'élargissait, changeait de peau. Il s'agrandissait, se modernisait. Une nouvelle école, plus grande que l'ancienne, accueillait les enfants de la commune entière. Les écoles des hameaux avaient fermé leurs portes mais celle-là rutilait, avec son toit brillant et ses murs de bois rouge. Sortie de terre un peu plus loin, la nouvelle salle des fêtes rivalisait de courbes, d'élans, d'audace, de matériaux nouveaux. Alors que dans mon enfance il paraissait presque sans vie, le village du bas, comparé à celui du haut, redressait la tête. C'était lui, à présent, qui drainait toutes les énergies. À l'inverse, encastré, serré à la gorge par les pentes abruptes, le village du haut se ratatinait. Il se repliait sur ses maisons vides, ses volets clos, ses murs ridés. Et en le traversant, je songeai aux années où il exhibait sa vitalité, ses usines, son marché, ses cafés, sa fanfare, son gymnase. Aujourd'hui les usines s'étaient carapatées en laissant là leurs carapaces, le marché se réduisait à l'étal du boulanger, les cafés avaient disparu, la fanfare n'existait plus et le gymnase avait fait place à un garage qui végétait. Les villages naissent, grandissent et meurent. Mais ils ont plusieurs vies. Comme ces arbres au tronc mort d'où jaillissent des rejets. Que devien- draient ces lieux dans un siècle ou deux ? Tout au bout du village, la route, étroite, conti- nuait. Strictement inchangée. Ni élargie ni rectifiée. Juste un peu ravaudée, par endroits, comme jadis, comme toujours. Elle s'enfonçait dans les replis de la montagne, larguant une à une les habitations, comme une montgolfière qui se déleste de sacs de sable pour attraper de l'altitude, elle longeait des prairies obliques, de plus en plus étroites, côtoyait des Feuillus et quelques Conifères - deux tribus qui vivaient en complète harmonie - pour parvenir à une rivière qu'elle traversait d'abord puis frôlait sur des kilomètres, avec des façons de fauve en chaleur. Et c'est là que tout commençait. Les sapins sombres tout autour se resserraient de plus en plus sur ce cordon d'asphalte.
( à suivre )

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