lundi 7 décembre 2015

AUTOUR DE LA MAISON  (5)

Elle qui nettoyait tout. Le choc que j'attendais ne venait pas du sol, des traces de sang séché, mais de tout ce laisser-aller qui me jetait à la figure son incapacité. Elle n'arrivait plus à vivre sa vie. Elle ne pouvait plus. Elle ne voyait plus. Elle laissait la poussière, jour après jour, gagner sur elle. Je nettoyai toute la cuisine, les meubles, les vitres, je lavai la vaisselle, récurai le plancher, passai l'éponge partout, eau de javel, désinfectant, je voulais supprimer les traces de sa défaite, je voulais vaincre la poussière, oui je voulais venger ma mère. Et quand j'eus terminé, je pris conscience du ridicule, de la vanité de ma réaction. J'ouvris alors toutes les fenêtres, de toutes les pièces, pour faire entrer l'air frais, les rayons du soleil, pour noyer mon chagrin dans l'ivresse du printemps. Je montai au grenier, retrouvant dans les escaliers ce dessin au pastel, esquissé par mon frère, un boulet au bout d'une chaîne attachée au pied d'un homme, avec  cette inscription : Nul ne sera tenu (on lisait mal la suite) en servitude. J'aspirai l'air à plein poumons. Le grenier débordait de senteurs oubliées. J'y demeurai de longues minutes, retrouvant dans les coins des passés incertains. Je mesurais l'incomplétude de ma mémoire. Elle ne me gênait pas. Je laissais filer les étoiles filantes de mes souvenirs. Je larguais des amarres. Une sensation de liberté, de liberté chérie, m'envahit tout à coup. C'était tellement inattendu que je poussai un cri. Et ma voix sonnait clair. Et contre toute attente je me sentis heureuse. Le reste fut sans histoires. Je remplis mes devoirs. La maison aérée, nettoyée, respirait. Je pouvais enfin me mettre en chemin. Aller me présenter, là haut dans la montagne, aux voix nues des sapins. Et ma mère ne m'en voudrait pas.
( à suivre )

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire