lundi 16 novembre 2015

AUTOUR DE LA MAISON  (2)

Aujourd'hui où sont-ils, aujourd'hui c'est la paix, tout a l'air de tourner tranquille, pourtant le long des routes je voyais se dresser des stèles à la mémoire des fusillés, tous ces gens alignés, menottés, dans quelques secondes ils ne vivraient plus, mais les allemands aussi allaient perdre la guerre, ceux qui tuaient les maquisards allaient aussi se faire tuer. Je voyais également des bouquets de fleurs accrochés aux arbres, indiquant les endroits où quelqu'un était mort, tué dans un accident. La route remplaçait les allemands, la mort rôdait toujours, je laissai un scooter me doubler par la droite « Attention, ma fille ! » m'entendis-je dire avec une voix de revenante, j'étais dans un état bizarre, à la fois ici et ailleurs, à la fois moi et quelqu'un d'autre. Sur la montagne en face on avait installé une ligne à haute tension, une saignée droite dans la forêt, l'électricité se déplace sans bruit, à peine un grésillement perçu sous les pylônes, on dirait des messages codés envoyés aux extraterrestres. L'aiguille du réservoir attira mon regard, il fallait faire le plein. À la première station, j'arrêtai la voiture. J'étais toute mouillée de transpiration. Quand je repris la route, quelque chose en moi s'était modifié. C'était comme si j'avais franchi un mur sans mur. Dans l'anxiété. Arrivée à notre maison, je restai un moment à regarder autour, avec les yeux d'un étranger. Et pourtant rien n'avait changé. J'ouvris la porte du garage. À l'intérieur je vis d'abord scintiller la poussière, dans la lumière oblique. Ensuite tous les objets, toutes ces choses incrustées dans les plus lointains de mes souvenirs, m'apparurent peu à peu, à leur place habituelle, le petit poêle à bois, avec sa petite pile de rondins de bouleau, les balais suspendus avec leur tête hirsute, l'établi juste en face, avec le grand étau, la perceuse à colonne, avec cette odeur qui me submergeait, l'odeur de mon père usinant le fer, il était là, meulant, limant, courbé sur l'établi, les lunettes sur le nez, tournant la tête et me disant, dans l'éclaircie de son sourire « Ah c'est toi je ne t'avais pas vue ». Maintenant c'était moi qui ne le voyais plus.
( à suivre )

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire