lundi 9 novembre 2015

AUTOUR DE LA MAISON  (1)

Le lendemain matin, j'accompagnai ma petite sœur à son lieu de travail et gardai sa voiture pour aller voir, là-haut, bâtie aux pieds des montagnes, la maison où personne, depuis que notre mère avait eu son malaise, n'était revenu. « Je te préviens c'est le bazar, j'ai tout laissé en plan, j'ai même pas eu le temps de laver le plancher » Ne t'en fais pas, je m'en occupe. Je prendrai le courrier. Qu'est-ce qu'il faut que je ramène d'autre ? « Re- garde dans le frigo. Ramène ce qui est entamé, le beurre, le lait, les charcuteries, pour ne pas les laisser perdre. Et une chemise de nuit, dans l'armoire de sa chambre » Oui je n'oublierai pas. On se retrouve ce soir, pour le rendez-vous avec le docteur. Ma petite sœur, avant d'entrer dans les bureaux, m'envoya en riant un baiser papillon. La route passait par des villages, des prairies, des forêts qui m'étaient familiers. Je conduisais avec lenteur, curieuse de tous les changements, un virage adouci, une nouvelle supérette, un lotissement en construction, les fermes transformées en maisons de campagne, les portes des granges changées en vitrines, les cours en musées, à ciel ouvert, avec des parterres de fleurs, des outils agricoles restaurés et ripolinés, des charrues, des charrettes, des faucheuses, des faneuses, même le gravier des cours, comparé au crassin et à la terre battue des anciennes cours de ferme, semblait être lavé, blanchi, javellisé. Quelques rares fermes restées telles quelles, austères et ternes, masures minables moyenâgeuses, lourdes d'un passé presque menaçant, encerclées par les temps présents, résistaient pied à pied en un combat perdu d'avance. Mais on n'a rien à perdre ! hurlaient en silence, derrière les rideaux, tous ces fantômes qui vivaient là, toutes ces familles de paysans, du côté de ma mère une famille de trois filles, leur père était rentré de la guerre de quatorze avec les poumons brûlés, mais il fallait manger, tout le monde s'y mettait, pendant la dernière guerre ils avaient accueilli des enfants de la ville chassés par les bombardements, ma mère me disait hier que son père s'occupait de placer les enfants dans les fermes voisines, avec parfois un des parents, parfois des familles entières, les Veilleux, les Singer, ils étaient restés longtemps et souvent, par la suite, ils étaient revenus, puis le temps peu à peu avait brouillé leurs  traces.

( à suivre )

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