L'oncle Robert. Je n'ai pas le souvenir de
l'avoir jamais rencontré, mais j’ai gardé celui de son portrait, une
photo en
noir et blanc prise de trois quarts, dans le style classique du studio
Harcourt. L’image était sous verre dans un cadre posé sur le poste de
TSF chez
nos grands-parents, au coin de la bibliothèque derrière le fauteuil
Morris. Un haut lieu de notre enfance en appartement. Le poste de radio
tout en angles et en
plastique marron et ivoire trônait sur un guéridon dans l’angle de la
pièce. Il
émettait tous les samedis soir une pièce policière que notre grand-père
n'aurait manquée pour rien au monde. Un petit signal étoilé vert fluo
indiquait
la qualité de la réception en s’ouvrant plus ou moins comme un œil de
chat. Dans la bibliothèque, un meuble finement sculpté dans un style
baroque bourgeois, régnait l’ordre, à défaut de luxe et
de volupté. Un tabernacle des arts académiques excluant
toute modernité, où l’on cherchait ce qui ne s’y trouvait pas, mais qui
pouvait
servir de tout autre chose qu’un lieu dédié à la lecture. D’instrument
de musique par exemple, en
tournant ses deux colonnes torsadées qui produisaient alors un son
strident
proche de celui de la longue corne des bergers suisses, en plus aigu. De
miroir
déformant avec ses vitres en verre soufflé. Quant
au fauteuil Morris, c'était un magnifique spécimen
de
cabane-cachette. Son dos était inclinable sur une barre horizontale
qu'on
pouvait déplacer sur une série de crochets disposés à l’arrière des
accoudoirs
en bois verni. Ce système, ludique en soi, présentait un double
avantage. Celui d’une indéniable innovation qui lui
était conférée par la maniabilité et la robustesse du système barre et
crochets
métalliques, et celui d’une cabane intemporelle, car l’arrière du
fauteuil
servait de réceptacle à un repose-pied qui en position repliée laissait
de la
place pour occuper l’endroit. On pouvait donc y garder toutes sortes de
trésors
de guerre pris à l’ennemi d’alors, l’ennui. Tout objet, précieux ou non à
nos
yeux, pouvait se retrouver un jour dans cette minuscule caverne d’Ali
Baba. Dans
le dos de Morris transitèrent les frets les plus variés, gâteaux secs,
bonbons ou caramels, journaux, cartes postales du temps présent
en cours d’étiolement, catalogues de Manufrance, voitures ou chevaux de
course
en déshérence. Tous objets craignant la lumière trop vive du rigorisme
ménager
de notre grand-mère et qui devaient être prudemment soustraits à sa vue.
Pour
cela, nous avions les coussins violets. Quelques gros coussins de
velours qui avaient
perdu leur éclat et sentaient la poussière, mais avaient un pouvoir
d’occultation remarquable. Un de chaque coté du fauteuil et la nuit
tombait
chez Morris. Comble de l’utilitarisme, ils pouvaient transporter
l’occupant de
Morris directement du monde du réel au monde des rêves, par le seul
pouvoir
hypnotique de leurs rayures jaunes bordées de noir sur fond violet,
telle une
grosse guêpe posée sur une digitale dans la forêt à la tombée du jour.
Et un demi-siècle plus loin dans
l’espèce tant décriée d’espace-temps qui nous tient lieu de liquide
amniotique
extra-utérin, quand le manque de quiétude se fait sentir telle une
contracture
de la pensée, le calme revient à l’évocation du gros fauteuil docile ...
Peace, peace, Morris is not dead, he does
not sleep, he has just awakened from the dream of the purple flower near the
screaming columns... © D.O.Goldman, 2007
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