vendredi 10 février 2012

NAPOLÉON EN HAILLONS (9)

Nous quittons le squat à l'heure pensée, mais non dite. Le temps est clair, l'air léger. Comme à son habitude, Torgnole est devant, en éclaireur. À intervalles réguliers, il s'arrête et me regarde, la langue pendante. Si je fais un geste, il rapplique en agitant la queue, rameutant un virtuel troupeau. Puis il se range à ma gauche et avance à mon pas, jusqu'à ce qu'un stimulus anodin ne l'attire à nouveau 20 ou 30 mètres plus loin. Sous les ponts du périphérique, l'écho du trafic est feutré. Pas de frustration méchante, pas de révolution qui s'arme. Deux kilomètres plus loin, le canal est pris en sandwich entre la gare de triage à gauche et la RN 3 à droite. Un train trainasse et passe le pont vers Noisy. Bruyant, il ne l'est pas. Aucune stridence, même à l'accroissement de couple. La journée sera belle. Après le parc de Bobigny, l'Ourcq outrepasse le nœud routier formé par les autoroutes A 3 et A 86. Un chaos vertigineux de verticales et d'obliques en béton de près d'un kilomètre de long. Pourquoi faire sobre quand sourd la tentation de la démesure ? Tout est possible dans ce carrefour. Avec la RN 3 et les axes adjacents de Noisy et Bondy, la liberté laissée à l'automobiliste est immense. Dans les années 70, au volant de la 204 Beaujolais de ma mère, je me souviens avoir mis très longtemps pour appréhender ces données statistiques avant de trancher dans le vif - et dans le 93 - en adoptant définitivement le mode pédestre. À l'entrée de Pavillons sous-Bois, le canal coude à gauche et file droit sur trois kilomètres. Après un passage sous la voie ferrée, il coude à droite et reprend le cap Est Nord-Est. L'écluse de Sevran se trouve 500 mètres plus loin. Torgnole la connait bien car il est né tout près de là. J'arrive à portée de voix mais je sais qu'il ne bougera pas. Son flair l'a guidé vers le regard de la vanne Nord où il a ses habitudes. Arrivé au bord de l'ouvrage maçonné, j'aperçois son dos broussailleux et ses pattes arrière, deux mètres en contrebas. Sa tête est masquée par le volant de manœuvre. Sa queue caresse le sol moussu et la pierre adoucie, tendre boyau de son enfance. Midi n'est pas loin car l'âcreté monte dans mes sinus. Je pose sac et squelette sur le sol. Sûr qu'ils n'iront pas plus bas.

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