jeudi 5 janvier 2012

NAPOLÉON EN HAILLONS (2)

Je m'avance dans sa direction, jusqu'à me tenir à une distance que j'estime protocolaire du canapé de lumière. L'homme aussi irradie, mais d'un éclat mat. Sa physionomie laisse ressentir une vibration intérieure. J'ai l'impression que son visage se modifie à intervalles réguliers, comme une image subliminale accède à la conscience, l'espace de quelques millisecondes, avant de repartir dans l'inconnu. Il me tend une feuille de papier pliée en quatre. « S'il vous plaît, prenez connaissance de ceci et revenez me voir dans dix jours ». Aucun affect dans son regard, pas d’intonation allemande dans sa voix. Je n'ai pas vu bouger ses lèvres. Fixer une partie de son corps me semble difficile. Je ne saurais le décrire. Ma vision reste globale. Je pose ma question : « Voulez-vous savoir la raison de ma présence ici ? »... « La prochaine fois, si vous le jugez utile ». Brusquement, le canapé repart dans l'obscurité. Un basculement dans le noir illuminé de quelques phosphènes chocolatés, zébrés de violet et de jaune. Dans mon dos, les deux photos éclairées balisent le chemin de la sortie. Je repasse entre la RAF et BLOOD, SWEAT & TEARS et je reprends la cheminée dans le sens de la montée pour déboucher au bord de l'écluse. L'air frais du matin, la clarté solaire à l'Est et l'eau froide cinq mètres en contrebas me replongent instantanément dans le RÉEL, cette appellation non contrôlée d'une fraction négligeable du POSSIBLE. Maintenant le papier fermement au fond de ma poche, je hâte machinalement le pas vers le squat du quai de l'Ourcq. Pourquoi ne pas le lire tout de suite ? Pourquoi attendre ? Je ne sais pas, sans doute ce vieux problème d'adéquation entre le lieu, l'heure et l'action. Un document de cette importance ne doit pas être lu n'importe où. Absorbé dans mes pensées, j’aurais pu me retrouver à Pantin, si je ne m’étais pas entravé dans Torgnole, un berger des Pyrénées qui prend plaisir à dormir à l’entrée du squat dans un trou du quai taillé à sa dimension. « Torgnole, qu’est-ce que tu fous là ?... Ah, t’es dans ta niche ! »... « Allez, viens manger, Calamity Dog, c'est l'heure du p'tit déj... ». Il me tire une belle langue rose tout en dardant son œil noir. Sa queue bat la mesure d'une partition joyeuse. C'est l'avantage avec les chiens, ils sont francs du collier.

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