mercredi 14 septembre 2011

L’homme qui était né deux fois (2)


À la fin de sa carrière, vers 1960 - ça ne lui faisait que 42 ans ! - nous mangions les quatre à la cuisine, ma grand-mère et lui, mon cousin et moi, dans ce lieu ceint de murs de base fausse avec colonne en coin, sombrageux envers de décor XIXème, muni de barreaux à la fenêtre sur cour, d’un garde-manger à moustiquaire et flanqué d’un antique couloir condamné à faire office de cagibi, large d’un mètre et haut de quatre. L’horloge indiquait 12 heures trente tandis que la lueur solaire touchait le fond de la cour. Ma grand-mère nous faisait notre plat préféré, des rissoles avec de la salade verte et à la radio nous écoutions l’éditorial de Geneviève Tabouy. C’était très musical, un chant de mère oiseau à ses petits, ponctué de ces délicieux « attendez-vous à savoir » qui sembleraient sortis d’un rêve si je ne les avais ouïs de mes jeunes tympans, oui. La langue française était sa vocation. Parlant de tout autre que lui, on aurait pu dire son sacerdoce, mais il n’aimait pas les curés. Instituteur, puis directeur d’école, son credo - laïc - tenait en quelques mots : « employez le mot juste ! ». Alors je m’y emploie de ma maigre force, je continue de dénuder le fil des mots sous tension, attentif à ce qu’aucun sens mal versé n’abreuve son sillon, à ce que nul hiatus égaré ne vienne à l’oreille de l’homme qui était né deux fois.

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