jeudi 22 septembre 2011

Cette petite ville n'avait pas l'air différente de toutes les autres. Même trafic, mêmes panneaux, même empressement des piétons et mêmes réactions à fleur de volant des conducteurs de tout poil. Il faisait beau, avec un peu de vent. Je promenais mes pensées floues le long des canaux qui, remarquai-je, étaient multiples et découpaient la ville en un damier asymétrique, délimité par les cours d'eau et maillé par trente-six ponts, tous différents, tous charmants. Au premier que je traversai, je vis bien quelqu'un qui était debout, immobile, et qui parlait tout seul, mais je n'y prêtai que peu d'attention. A l'entrée du pont suivant, je vis encore un homme parlant avec force gestes et qui paraissait s'adresser à un public d'oiseaux dissipés. Je commençai à me demander ce qui se passait lorsqu'au troisième pont, un pied posé sur une grosse pierre, une femme entre deux âges, aux traits marqués par une colère froide, s'expliquait de vive voix avec des êtres invisibles. Personne ne s'arrêtait à son niveau, personne ne semblait la voir. Je me rendis à l'évidence : à chaque pont que je traversais, il y avait quelqu'un qui se tenait là à parler fort, à remuer l'air sous le regard indifférent des passants. J'ignore si cela vous est jamais arrivé, mais je vous assure que devant la répétition d'un tel spectacle, que nul ne remarque à part vous, on se pose vite des questions sur l'existence des phénomènes paranormaux, sur l'humain en général et sur la permanence de sa propre raison en particulier. À bout de nerfs, j'abordai la première personne que je croisai et lui demandai qui étaient ces gens postés à chaque pont. « Vous n'êtes pas d'ici ? » me répondit-elle, « ce sont les escorteurs de ponts ». Et elle poursuivit son chemin sans que je puisse en savoir plus. Les escorteurs de ponts ? Était-ce un nouveau métier, lié au développement des dernières "nouvelles technologies" ? On n'escorte habituellement que ce qui se déplace, un navire, un convoi... mais escorter un pont ! Est-ce qu'un pont se déplace ? Et avec qui, dites-moi, ces escorteurs pouvaient-ils bien communiquer, en s'exprimant de cette façon ? Y avait-il un rapport avec la mer et les poissons ? Je n'y comprenais plus rien. En dernier recours, je décidai de m'adresser aux escorteurs de ponts eux-mêmes. Ils me donnèrent des explications toutes plus irrationnelles les unes que les autres, me désignant qui le ciel, qui l'eau, qui la ville. Je quittai donc cette dernière sans en savoir plus, en me disant qu'il s'agissait d'une chose naturelle pour ses habitants, et néanmoins si singulière à mes yeux qu'elle me laissait entrevoir un futur proche où tout serait modifié, sans retour possible à l'ordre précédent.

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