lundi 6 mars 2017

JE SUIS NOMBREUSE (2)

La peau d'une autre

De la boue partout. Une terre qui chavire. J’ai glissé. Suis tombée. En bas de la  descente il y avait de l’eau, une mare sombre et crasseuse. Tenté de m’accrocher, de m’agripper aux branches, aux racines, mais en vain. Inexorablement, je descendais, je descendais, je descendais. Et voyais s’approcher, en bas, dans le marais, la gueule ouverte du monstre noir. Ses yeux me fixaient et ses dents brillaient. Il m’attendait. Confiant. Et sûr de lui. Il savait que bientôt, là, dans quelques secondes, ses mâchoires allaient se fermer, en claquant, sur de la chair fraîche. Et moi aussi je le savais. Je me battais de toutes mes forces, j’enfonçais mes ongles dans cette boue  infecte, je refusais l’inévitable,  je griffais la peau des cailloux, je criais, je hurlais, mais rien à faire : je descendais, je descendais, je descendais.
- T'en n'as pas marre d'être solitaire ? Tu voudrais pas jouer un peu ? Profiter de ma compagnie ? Aromatiser ta monotonie ? Je sais faire plein de choses, des spécialités que tu connais pas, qui te donneront un plaisir sans fin... ça te dirait pas ?
Je parlais au monstre sans en avoir peur. Toute entière dans sa gueule, je regardais le bord du gouffre, le trou noir qui menait tout droit à son estomac. Et sans aucune crainte, je dressais des plans, mesurais les risques, calculais mes gestes. Tout en lui parlant, car je me disais que mes mots iraient, même s’il ne comprenait rien, quelque part dans son cervelet et distrairaient ses sens. J’étais convaincue que seule la parole pouvait me sauver. Alors je lui parlais, doucement, gentiment, sans arrêt. Si bien qu’il s’est amadoué. Sa langue s'est ramollie. J’ai eu l’impression qu’il se détendait, qu’il s’attendrissait, qu’il prenait même plaisir à m’écouter parler.
Et je n'ai rien senti quand il m'a avalée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire