La peau d'une autre
De la boue partout. Une terre qui chavire. J’ai glissé. Suis
tombée. En bas de la descente il y avait
de l’eau, une mare sombre et crasseuse. Tenté de m’accrocher, de m’agripper aux branches, aux
racines, mais en vain. Inexorablement,
je descendais, je descendais, je
descendais. Et voyais s’approcher,
en bas, dans le marais, la gueule
ouverte du monstre noir. Ses yeux me fixaient et ses dents brillaient. Il m’attendait.
Confiant. Et sûr de lui. Il savait que bientôt, là, dans quelques secondes, ses
mâchoires allaient se fermer, en claquant, sur de la chair fraîche. Et moi
aussi je le savais. Je me battais de toutes mes forces, j’enfonçais mes ongles dans cette boue
infecte, je refusais l’inévitable,
je griffais la peau des cailloux, je criais, je hurlais, mais rien à faire : je descendais, je
descendais, je descendais.
- T'en n'as pas marre d'être solitaire ? Tu voudrais pas jouer un peu ?
Profiter de ma compagnie ? Aromatiser ta monotonie ? Je sais faire plein
de choses, des spécialités que tu connais pas, qui te donneront un
plaisir sans fin... ça te dirait pas ?
Je parlais au monstre sans en avoir peur. Toute entière dans
sa gueule, je regardais le bord du
gouffre, le trou noir qui menait tout
droit à son estomac. Et sans aucune
crainte, je dressais des plans, mesurais les risques, calculais mes gestes. Tout en lui
parlant, car je me disais que mes mots iraient, même s’il ne comprenait rien, quelque part dans son cervelet et distrairaient ses sens. J’étais
convaincue que seule la parole pouvait me sauver. Alors je lui parlais, doucement, gentiment, sans arrêt. Si bien qu’il s’est amadoué. Sa langue s'est ramollie. J’ai eu l’impression qu’il se détendait, qu’il s’attendrissait,
qu’il prenait même plaisir à m’écouter
parler.
Et je n'ai rien senti quand il m'a avalée.
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