mercredi 2 novembre 2016

JOURS INTRANQUILLES À AUVERS (10)

Lettre à Théo et Jo  (10 juin 1890)

Chers frère et sœur,
La journée de dimanche m'a laissé un souvenir bien agréable, ainsi on sent bien qu'on est moins loin les uns des autres, et j'espère que nous nous reverrons souvent. Depuis dimanche j'ai fait deux études de maisons dans la verdure ; à côté de la maison où je suis il est venu s'établir toute une colonie d'américains qui font de la peinture, mais je n'ai pas encore vu ce qu'ils font.
Réflexion faite, pour ce qui est de prendre cette maison ou bien une autre, voici ce qu'il y a. Ici je paye 1 franc par jour pour mon coucher, donc si j'avais les meubles, la différence de 365 francs ou de 400 ne serait pas à mon avis d'importance très grande, et alors j'aimerais bien que vous autres eussiez en même temps que moi un pied-à-terre à la campagne. Mais je commence à croire que je doive considérer les meubles comme perdus. Mes amis où ils sont, à ce que je m'imagine, ne se dérangeront pas pour me les envoyer, moi n'étant plus là. C'est surtout la paresse traditionnelle et la vieille histoire traditionnelle, que de leur côté les étrangers de passage laissent des meubles provisoires à l'endroit où ils sont. Mais je viens encore de leur écrire pour la troisième fois que j'en ai besoin, j'ai dit dans ma lettre que si je n'avais pas de leurs nouvelles, je me sentirais obligé de leur envoyer un louis pour les frais d'expédition. Probable que cela fera de l'effet, mais c'est une impolitesse. Que veux-tu, dans le Midi ce n'est pas tout à fait comme dans le Nord, les gens y font ce qu'ils veulent et ne se donnent pas le mal de réfléchir ou d'être prévenants pour les autres, si l'on est pas là. 
Du moment qu'on est à Paris, on est comme dans l'autre monde, et je crois qu'ils ne se dérangeront probablement pas, à plus forte raison qu'ils n'aimeront pas à se mêler davantage de cette affaire dont ils ont beaucoup causé à Arles.
( à suivre )

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